Hier encore, j'avais vingt ans, je caressais le temps
J'ai joué de la vie
Comme on joue de l'amour et je vivais la nuit
Sans compter sur mes jours qui fuyaient dans le temps
Avoir vingt ans, c’est voir la vie de l’avant, en rose et sans bleus, un idéalisme qui te pousse à croire, à rêver, du moins encore un peu. Puis le temps passe. Ton corps s’épuise, ton corps se tasse. Il accouche de ses rêves de jadis, de ces jeunes pousses à faire grandir. Le corps déformé, les mains dans la terre, tu creuses, tu te crèves en jardinage. Tes illusions s’écaillent, se cassent, pour ne te laisser qu’avec des regrets. Tu aimerais que nous puissions revenir en arrière, au bon vieux temps, mais il est trop tard. Le temps court, oui qu’il est court. Tout le monde te le dit : les plus jolies fleurs ternissent et se fanent. Alors tu fermes les yeux et dans tes rêves, tu pars. Loin des couches et des biberons, jolie petite histoire. Dors maintenant. Dors et fais pas chier maman.
Balavoine avait-il tort ? A-ya a-ya a-ya, le bébé crie, le sommeil de sa mère tremble et se fend. Dieu que c’est beau, pas vraiment. Tully, le nouveau-né de Jason Reitman, semble en explorer l’envers du berceau, de ces nuits sans sommeil et de ces mères abîmées par la fatigue. Dans ce quotidien d’hyper activité, de pipi et pas de lit, d’épuisement dans le bonheur, il y a cette tension permanente, cet Enfer où rien ne semble avoir une fin. Femme au bord de la crise de nerfs, il y a de quoi. Car derrière les difficultés et les instants magiques qui s’en suivent, le cinéma s’est toujours contenté de lisser les choses, de les simplifier, d’élever la naissance comme un simple accomplissement, sans jamais véritablement évoquer cette peur dans la maternité. Tully s’y confronte, à ce mal-être, à cette sensation d’impossible, à cet épuisement devenu dépression. L’enfant, Problemos. La solution : la sous-traitance de la tutute.
Mais Tully est avant tout une œuvre sur ce temps perdu, cette jeunesse disparue. Une histoire de rêve coulé : devenir une sirène, épouser la forme de l’eau et de nos rêves, ou se noyer, sans nageoires, dans cette eau-de-vie journalière. Comme si le fait de donner la vie engendrait irrémédiablement un sacrifice personnel ; l’abandon de la nôtre en tant que parents. Tully agit comme un rappel, un acte de nostalgie. De mélancolie plutôt. Tully est un miroir, une introspection, un souvenir qui t’enlace pour te faire avancer, et accepter ta réalité. Une remise en question où la femme questionne son état de mère, et où le passé questionne le présent : qu’es-tu devenu ? Puisque Tully est construit sur une confrontation, celle entre cette jouvence passée, de fraîcheur et de volontés, et cet âge « défloré », fané, de crises et d’angoisses.
Et pourtant, avec le temps, tout s’en va, y compris les doutes et les regrets. Tully est cette nounou embryonnaire, cette transition nécessaire (par le complémentaire), vers l’épanouissement, le pardon et l’acceptation de soi. Car chez Jason Reitman, outre cette bienveillance innée, tout n’est qu’une question de phases : de l’adolescence sacrifiée dans Juno à l’adulte infantilisé dans Young Adult (« adulescence »), Tully englobe une maternité « rejetée », et toutes les joies qu’induit la naissance d’un rejeton tout mignon. Seule constante, une Femme forte comme pilier à réparer.
Charlize Theron y insuffle ainsi une sincérité à toute épreuve, élevant son personnage dans la banalité du quotidien : ne baissant jamais les bras, elle est cette mère dépassée par la cadence des jours. Et une étape de vie à franchir, d’un âge à l’autre : grandir un peu, vieillir, faire ses adieux au passé et voir la vie du bon côté. Celui où le magnifique sourire et le regard illuminé de Mackenzie Davis apaisent et font guise de berceuse pour bébé. Oui, Brille, brille petite étoile/ Dans la nuit qui se dévoile/ Tout là-haut au firmament/ Tu scintilles comme un diamant/ Brille, brille petite étoile. Et il faut dire que la sublime photographie fait quant à elle une parfaite « protection » pour des nuits pleines de douceurs.
La mise à nu a quelque chose ici d’universel. Une simplicité si commune qu’elle parvient à nous percer à jour, à nous émouvoir sans sa pyrotechnie de larmes. Tully est beaucoup de choses à la fois : un visage mouvant, réaliste et sans artifice, sur lequel s’inscrivent les cicatrices du temps, et la tragi-comédie de la vie. Et pourtant, au cœur de ces échecs et imperfections naturelles, subsiste la grâce de quelques instants : des enfants qu’on brosse pour de l’affection, un câlin et un « Je t’aime maman ». Le regard en sourire, la tendresse au coin de l’œil, les êtres se rapprochent. Puisqu’au final, rien ne vaut la banale beauté d’un écouteur partagé.
Où sont-ils à présent?
À présent
Mes vingt ans
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