Ayons une pensée pour nos collègues de la scène et du spectacle qui sont actuellement sans travail,
« Ayons une pensée pour nos collègues de la scène et du spectacle qui sont actuellement sans travail, sous prétexte qu’ils n’ont aucun talent ». Qu’ils sont durs, ces mots de Pierre Desproges, mais tellement justes, après deux heures des jérémiades insupportables de 20 Feet from Stardom.
Nous aurons vu défiler les choristes de Mick Jagger, David Bowie, Elton John, Michael Jackson, Sting, Bruce Springsteen. Avec le même motto misérabiliste : elles étaient belles, elles étaient talentueuses, elles chantaient mieux que leurs employeurs : pourquoi n’ont-elles pas percé ?
On est ici au cœur d’une grande illusion américaine. Si tu veux quelque chose vraiment très fort, alors tu réussiras. Si tu es le meilleur, tu réussiras. Si tu travailles dur, tu réussiras. Malheureusement ce vœu pieux et protestant est une fiction, tout du moins dans le domaine artistique.
Il faut du travail sûrement, beaucoup de travail. Il faut aussi de la chance,beaucoup de chance. Mais il faut aussi du talent, pas seulement de la technique. Comme disait Boris Vian, il ne suffit pas à l’artiste de faire, il faut encore faire autrement.
Certes, toutes ces chanteuses ont une technique irréprochable, bien supérieure à celles de leurs patrons, Sting ou Mick Jagger, pour ne pas les nommer. Mais ces deux-là ont quelque chose à dire ! Ils ont écrit des chansons extraordinaires, qui ont marqué une génération. Walking on the Moon, c’est seulement deux notes de basse que n’importe qui peut jouer. Mais quelles notes !! Il faut oser se contenter de ces deux notes-là.
Les choristes de 20 Feet sont de fabuleuses techniciennes. A l’évidence, elles ont enrichie les chansons sur lesquelles elles ont travaillé : le fabuleux « Rape, murder, it’s just a shot away » de Gimme Shelter est sûrement la pierre angulaire de l’une des plus grandes chansons des Rolling Stones. Mais pour autant, cette chanson aurait-elle existée sans sa choriste Merry Clayton ? Probablement. Sans Mick Jagger, sans Keith Richards ? Sûrement pas.
C’est pourtant ce que tente de nous faire croire 20 Feet from Stardom. La première moitié du film est pas mal du tout, très pédagogique sur l’irruption, derrière les chanteurs blancs propres sur eux, des « coloured girls saying doo doo doo », comme aurait dit Lou Reed. Dans le monde de la musique blanche, l’objectif est de réussir le crossover (je vends aux blancs et je vends aux noirs), en ajoutant cette couleur soul/gospel que popularise alors les Raelettes de Ray Charles. Bientôt le rock lui-même ne peut plus se passer de ces choristes, des Stones à Bowie, en passant par Dylan*.
La seconde partie raconte leur déclin et c’est là que ça se gâte. Chacune tente une carrière solo, mais ce n’est pas le même métier, comme l’explique Bruce Springsteen : il faut franchir ces vingt pieds qui te séparent de la célébrité. Franchir ces six mètres entre l’ombre et la lumière.
Et pour cela, pas besoin de talent. Il faut juste un ego démesuré.
* en allant même plus loin (cf. l’enfant caché de Mick avec une de ses choristes, et le mariage discret de Dylan avec l’une d’entre elles)