Un film comique français mettant en scène une URSS en 1986 en pleine déliquescence (c'est Gorbatchev aux manettes depuis un an après les règnes des papys Brejnev et Tchernenko), c'était une belle idée. Il y avait alors suffisamment de documents et de témoignages décrivant l'état de décomposition avancée et de corruption de ce grand monstre froid pour mener à bien cette mission que Jean-Marie Poiré a bien voulu accepter. Bien sûr, en courant le risque inouï que Georges Marchais, encore aux manettes du PCF et qui pesait encore ses 15 % aux élections, grince des dents.
Mais il y avait de l'idée dans cette baroque histoire dont le thème est la confrontation/coexistence d'un directeur d'un grand palace de Moscou qui se "débrouille" pour bien vivre et qui a ses petites entrées au Kremlin avec son jeune beau-frère, un marginal qui organise des concerts clandestins de rock et au passage fait aussi dans la débrouille mais pas dans la même catégorie...
Mais le grand tort de Jean-Marie Poiré c'est d'avoir trop chargé la barque ; sur cette histoire, se greffent les parents de la chanteuse de rock qui sont juifs et en délicatesse avec la milice ou le KGB pour opinions politiques dissidentes, un contrôle politique du fonctionnement de l'hôtel par le Parti et l'arrivée d'un nouveau membre du Politburo qui est un maréchal, héros de la guerre.
Pour mon goût personnel, c'est un peu trop et ça conduit à des situations qui deviennent vite brouillonnes car très enchevêtrées. Le scénariste d'un film comique me parait devoir veiller à limiter le nombre de situations comiques au risque de provoquer chez le spectateur une indigestion et une lassitude. Et ce fut un peu mon cas.
Au début, le spectateur sourit ou rit aux situations cocasses du concert clandestin ou bien les petits arrangements de la direction de l'hôtel ou l'arrivée du contrôleur. A la fin, au bout d'une succession invraisemblables de gags, on ne rit plus et même on s'ennuie parce que ça devient fort embrouillé et trop burlesque.
Il y a des bonnes idées qui auraient mérité d'être creusées car auraient été sources d'un comique beaucoup plus fin comme, par exemple, les interférences entre les divers services de l'Etat en présence (le Parti, le KGB, le Politburo).
Le scénario étant touffu, le casting fait bien un peu ce qu'il peut et a tendance à faire dans la surenchère, ce qui n'améliore pas forcément le comique du film.
Philippe Noiret joue le rôle du directeur du Palace. Son embonpoint et sa personnalité préfigurent bien le gars qui louvoie et nage bien en eaux supérieurement troubles. Mais son jeu a tendance à devenir burlesque et perd de sa crédibilité. Néanmoins quelques bonnes scènes comme celle des chaussures obtenues au marché noir ou encore celle où il est dans une voiture et croise une voiture de la police qui l'observe dans un quartier louche de Moscou
Bernard Blier dans le rôle d'un ministre "ami" de Noiret et membre influent de la Nomenklatura est pas mal dans le genre corrompu et puissant oligarque.
Jacques François dans le rôle du nouveau membre du Politburo, complètement gâteux, joue une partition qui me parait un peu inutile à l'histoire.
Roland Blanche dans le rôle du KGB et Christian Lamotte dans le rôle du contrôleur du Parti auraient mérité d'avoir une partition un peu plus fouillée car leurs interférences étaient source de comique. Même avec une tête de con, un communiste reste un communiste
Agnès Soral dans le rôle de la rockeuse et de la star dévouée à ses fans est plutôt bien réussi.
Marina Vlady : son rôle d'épouse de Noiret aurait dû être étoffé pour avoir un rôle beaucoup plus politique à l'hôtel face au KGB et au contrôleur du Parti. Il n'y a que l'amorce du rôle et c'est dommage car elle avait la prestance pour ça.
Christian Clavier dans le rôle du beau-frère de Noiret qui a l'art de se mettre dans la merde et d'y impliquer tout le monde est pas mal. Il ne sur-joue pas trop et son rôle border line est intéressant.
Au final, c'est le genre de film dont on dit "ça aurait pu être bon si ... et si ...".
Au départ de très bonnes idées gâchées par l'accumulation et la surenchère. En matière de comique, on peut dire aussi : le "mieux" est l'ennemi du "bien"