Two Years at Sea
7.1
Two Years at Sea

Documentaire de Ben Rivers (2015)

Ben Rivers filme un gars.


The end.


Pas de dialogues, pas de péripéties, du super 16 granuleux, le Nord de l'Ecosse, la grosse teuf quoi.
La plupart du temps, un film ça se regarde. Sur l'écran ça bouge, quelque chose attire votre œil en permanence, il s'agit de faire vivre du mouvement en lumière. Ben Rivers ne veut pas.


Jake est un ermite, il n'aime personne et veut dormir, couper du bois, regarder dans le vide, prendre sa douche, attraper froid en marchant dans la neige et se réchauffer près du feu. Il est mis en scène entrain de vivre ses journées telles qu'elles le seraient s'il n'était pas filmé. Et pourtant la caméra filme quelque chose. Elle filme la réalité, non pas parce que le film est catégorisé comme un documentaire, mais parce que la vie s'écoule comme elle le devrait.
Les plans-séquences fixes extrêmement durs montrent Jake se réveillant le matin, se retournant dans son lit et s'asseyant au bord le temps que ses fonctions motrices reprennent le dessus. En prenant sa douche, il se révèle en contre-jour tel un fantôme de vapeur. En écrivant quelque chose sur un bout de papier en fin de journée, c'est un bien triste héliaste tout fripé, les lunettes vissées sur son nez. On ne saura jamais ce qu'il y a marqué sur ce papier car c'est Jake qui nous intéresse, figé dans le noir, son visage parcheminé et les crevasses qui se dessinent sur ses joues, son front, sous ses yeux, grâce au clair-obscur de son unique bougie.


Si, à cause de cette captation d'un constat naturaliste pour le moins très osé, vous lâchez prise sur vos lourdes paupières, laissez-vous aller, car dans le cas contraire vous passeriez à côté du second film caché sous le premier. Si Ben Rivers utilise une caméra pour construire son film, l'image n'en est qu'une partie. La désynchronisation sonore perceptible devient sous les paupières une autre manière d'aborder le film, exempt de sa technicité visuelle. Les seuls sons qui nous parviennent retracent le temps qui s'écoule. Les oiseaux qui chantent, la neige qui crisse, le vent qui murmure, la hache et la scie qui torturent les arbres morts. Ces mêmes arbres qui ploient sous le poids du silence et finissent par se déraciner tous seuls, en proie à l'ennui viscéral qui les accable dans les montagnes du bord du monde.


Dans un univers où tout semble abandonné après le cyclone du Ragnarök, un corbeau gris solitaire fait le constat bien silencieux de ce qui a été. Il est libre de marcher, son fardeau sur les épaules, à la recherche d'un bon coin pour s'endormir à la faveur d'un fondu au noir progressif de 15 minutes tandis qu'il observe le feu mourir lentement devant ses yeux faiblissants.

Gaspard_Savoureux
9

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le 10 févr. 2015

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