Umberto D. est peut être un contemporain de l'Antonio du Voleur de Bicyclette. Même simplicité, même discrétion, même pauvreté subie. Mais si Antonio éprouvait les pires difficultés à s'insérer dans la société par le travail dans l'Italie d'après guerre, Umberto, lui, après le service rendu, en est exclu et déclassé.
C'est ainsi que Umberto est seul. Tant dans sa chambre dont on veut le chasser qu'à l'extérieur, malgré la foule, où l'individualisme prend ses aises. Plusieurs fois, les regards sur lui deviennent fuyant ou l'évitent. D'ailleurs on ne sait rien de lui, en y réfléchissant. A-t-il de la famille ? A-t-il été marié ? Si Vittorio De Sica creuse le sillon néo réaliste de son Voleur de Bicyclette, ici, plus qu'une détresse économique dépeinte, c'est le drame de la solitude qui prend à la gorge.
Mais le réalisateur filme sans sensiblerie, sans tirer sur la corde du misérabilisme, sans alourdir inutilement son propos. D'ailleurs, les moments les plus marquants se passeront des mots. Quand la main tendue, au dernier moment, transforme son geste de mendicité dans un sursaut de dignité qui s'affirme malgré le drame intime subi. Ou dans cette relation avec la jeune et jolie Maria.
Si Antonio avait son fils comme témoin, qui le considérait comme un héros, Umberto est quant à lui flanqué de Flike, son petit chien adorable qui le suit partout. C'est la même relation qui s'installe, dans l'adoration muette, dans Umberto D. S'il envisage de l'abandonner afin de lui donner la possibilité d'une vie meilleure, il y renonce finalement, seule présence à ses côtés, indéfectible, au contraire de ces connaissances hypocrites qui l'esquivent ou sont trop pressées à ne penser qu'à eux et ne s'arrêtent pas pour porter assistance.
C'est lui qui, dans un réflexe de survie, sauvera son maître et le ramènera à la raison. Cette peur et la tristesse qui s'ensuit sont les mêmes que celles que ressent Bruno juste après la gifle que lui a assénée son père. Le chien comme l'enfant fuient un moment celui qu'ils considéraient comme l'élément le plus important de leur vie, la figure sur laquelle portait toute leur admiration ou leur reconnaissance. Avant qu'un chemin, enfin, s'ouvre sous leurs pas. En points de suspension. On ne sait pas ce qu'il adviendra de ces deux là. Umberto s'est délesté de sa valise et, ce faisant, de ses derniers biens. Il ne porte plus son éternel chapeau noir. Ils marchent tous les deux vers un horizon incertain qui se dessine. Un horizon qui était absent jusqu'ici.
Behind_the_Mask, touché.