En regard de la production hollywoodienne de Villeneuve, il serait difficile de dire qu'Un 32 août sur Terre fait partie de sa filmographie avant de voir son nom au générique. Celui qui nous a habitué aux scénarios ô combien sérieux explorant notre humanité et ses parts d'ombre nous offre un premier film aux apparences frivoles où le style à la part belle. Comme c'est son premier, il répond un peu à tout le monde, modèles ou collègues: il prend le contre-pied d'Atom Egoyan avec une histoire où les tangentes fusent de toutes part, il se met en opposition au «théâtre filmé» qu'offrait Arcand dans Le Déclin de l'empire américain en proposant plutôt une réalisation tape-à-l'œil, et bien sûr, il s'inspire de la Nouvelle Vague, non pas pour poursuivre ses innovations mais pour en emprunter une certaine esthétique. On se distance des compatriotes cinéastes en adoptant la posture des avant-gardistes français, même si dans les faits on imite plus qu'on défriche. Même sa Simone porte en elle des échos de Jean Seberg, un lien renforcé par l'appréciation de Philippe pour ces deux femmes.
L'histoire de base non plus n'est pas follement originale. Ayant frôlé la mort, Simone voit désormais son temps sur Terre comme un sursis ayant d'autant plus de valeur qu'il n'a pas lieu d'être. Sa vie doit être à la hauteur, elle s'échappe donc du monde corporatif comme d'une voiture renversée pour se concentrer sur l'Essentiel. Quant à Philippe, il en est encore à chercher ce qu'il veut dans la vie, changeant de domaine d'étude à tout bout de champ en espérant une révélation. Sur le fond c'est pas aussi frivole que je le laissais entendre au début, mais ça le devient dans la manière dont se matérialise cette quête. Il faut absolument éviter la petite vie rangée où tout le monde se perd dans son travail sans importance. Il faut sortir du moule, s'émanciper, tout le monde le dit. À tellement vouloir se distinguer, on s'accroche à des détails pour étoffer les objectifs, on s'y réfère pour mieux s'approprier ses choix. Le désir d'avoir un enfant se mute en recherche d'un désert, lieu vide par excellence qui n'a en lui que la signification qu'on veut bien lui prêter. C'est un prétexte amené par Philippe pour repousser le moment de choisir, mais c'est Simone qui le concrétise en cherchant à créer un contexte spécial. L'émancipation à l'extrême, deux individus libres et rien d'autre, loin des obligations résultant des vie qu'ils se sont bâties. En ce sens Villeneuve fait du style pour du style afin d'étayer son propos. Son montage ostentatoire sert moins à dire quelque chose qu'à marquer la différence (avec le cinéma québécois d'avant, du moins) pour forger son identité.
Là où le film rejoint le reste de son œuvre, c'est par l'exploration des limites de l'individu qu'on observe dans ce cas-ci une fois au cœur du désert. Que reste-t-il une fois séparé, voir libéré de tout? Ici on ne trouve pas vraiment de réponses, on constate simplement l'échec de la méthode de recherche. Même sans sa blonde, Philippe ne parvient pas à dire résolument oui à Simone, ni à repousser la tentation. Il demeure un indécis chronique, indépendamment du reste. Au lieu de se clarifier et de se faciliter sur les étendus de sel, la quête de l'Essentiel devient plus nébuleuse. Même la temporalité miraculeuse en vient à la toute fin à réintégrer le cours normal du temps. Les grandes certitudes se révèlent circonstanciels de temps et de lieu, et les individus parfaitement libres se font rattraper par le réel.
Tout ça pourrait sembler bien déprimant si ce n'était, encore une fois, de la méthode: malgré les grandes questions qui demeureront sans réponses, c'est la recherche en elle-même qui crée les moments pour lesquels continuer. Villeneuve nous propose des scènes, des parenthèses qu'il filme avec un plaisir d'esthète, et pour peu qu'on accepte de dériver avec lui il y a de quoi passer un bon moment. Après tout, on a bien droit à Tout écartillé de Robert Charlebois pour accompagner le vol imperturbable des avions. C'est quand même classe.