Henri Ménard est le patron du Père Tranquille,un bistrot paumé au fond d'une banlieue déprimante.Comme tous les vendredis soirs,il s'apprête à dîner avec son frère,sa soeur et sa mère,mais il apprend au dernier moment que sa femme le quitte,ce qui va perturber la soirée et lui faire prendre des détours inattendus.Après avoir adapté pour le cinéma leur pièce "Cuisine et dépendances" en 93,le couple Agnès Jaoui-Jean-Pierre Bacri réitère l'expérience en signant scénario et dialogues de ce film inspiré d'une autre de leurs pièces.C'est produit par Charles Gassot,souvent dans les bons coups,avec sa société Téléma,et réalisé par un Cédric Klapisch inspiré qui se sort habilement du piège du théâtre filmé,mieux que Philippe Muyl dont le "Cuisine et dépendances" était un brin statique.Avec une caméra et des personnages toujours en mouvement,le cinéaste colle aux protagonistes,multiplie les apartés et les interactions,utilise au mieux les différentes pièces du café ainsi que les extérieurs proches,aère de temps en temps l'intrigue à l'aide de scènes tournées ailleurs ou de flashbacks,et l'écriture fine,ciselée et brillante des Jabac fait le reste.On s'engueule beaucoup au sein de cette famille dysfonctionnelle mais au fond aimante où les rivalités et les rancoeurs explosent lors de cette nuit agitée.Avec un délicieux recul humoristique,les auteurs alignent les répliques qui claquent comme à la parade,et mêlent habilement ironie et tragédie.Les jalousies et les vieilles rancunes refont surface lors de ce règlement de comptes qui met en évidence les paradoxes du fonctionnement familial.Autour d'une mère désagréable et autoritaire,on découvre les complexes et les blocages d'Henri,considéré comme le raté et l'imbécile de la bande,l'arrogance et la prétention de Philippe,le cadre sup qui a réussi,et les désarrois existentiels de Betty,leur soeur rebelle et paumée,avec en prime la présence de Yolande,l'épouse gentille mais bêtasse et soumise de Philippe,et de Denis,le barman impassible de l'établissement,qui est secrètement l'amant de Betty.Les rapports entre tous ces personnages sont subtilement décrits et analysés,mettant en évidence le poids des séquelles psychologiques nées dans le contexte familial et qu'on traîne toute sa vie.Les acteurs sont extraordinaires mais il faut dire qu'ils connaissent leurs rôles à fond vu qu'il y a ici exactement la distribution à l'oeuvre précédemment sur les planches. Bacri est encore une fois parfait dans son emploi habituel de bougon râleur et socialement inadapté mais qui a au fond bon coeur,et Jaoui est très bien en jeune femme indécise déstabilisée par les disputes familiales et cherchant à s'émanciper de cet environnement délétère.L'autre Jean-Pierre,Darroussin,est purement génial en employé dévoué qui prend sur lui face aux humiliations répétées qu'il subit de la part des uns et des autres.Le comédien fait partie du clan Jabac puisqu'il était déjà de l'aventure "Cuisine et dépendances" et qu'il avait Bacri pour partenaire dans "Mes meilleurs copains" en 88.Wladimir Yordanoff,impérial comme d'habitude,incarne avec force l'imbuvable Philippe,laissant apparaître quelques failles indiquant que son comportement dénote en réalité un manque de confiance en lui.Il retrouvera les Jabac pour "Le goût des autres" en 2000.Catherine Frot est très touchante en nunuche constamment rabaissée par son mari,et sa révolte est libératrice.Claire Maurier est l'interprète idéale de cette vieille carne qu'est la "reine-mère",à la fois cassante,méprisante et castratrice pour ses enfants entre lesquels elle fait ouvertement des différences.Les excellents Zinedine Soualem et Antoine Chappey,qui n'étaient pas dans la pièce,passent en coup de vent.