Une seule solution : quitter sa famille.
Car la famille t’enferme dans un rôle unique, et même s’il ne nous convient pas, on s’y tient pour ne pas perturber les habitudes. Enfermer dans le carcan, ne pouvant en sortir, on ne peut remettre en question son rôle, puisque si on peut parvenir à l’identifier, on ne peut aller contre ce « personnage de famille » sans s’en exclure et en détruire une partie de celle-ci, sinon son ensemble.
Un Air de Famille est un film extrêmement difficile à regarder. Il peut même être insoutenable de méchanceté banalisée, de cruauté mise en valeur. C’est comme regarder un combat de coqs dont on verrait les tripes et le sang voler en l’air. C’est sale, c’est lugubre, carrément désagréable la plupart du temps. Et vous savez ce qui est moche ? C’est que j’adore ce film autant que je le hais. Parce qu’il me rappelle mon air de famille. En espérant qu’il ne rappelle pas trop le vôtre. Qu’il n’y en est pas trop des comme ça, quand même. Je déteste aimer ce film, mais combien j’aime le détester. Parce qu’avant je l’aimais sans y réfléchir, parce qu’on me l’imposait. Et maintenant, je le regarde dénuder du pyjama de l’enfance, revêtit du drapé de l’homme adulte, qui a quitté sa famille en s’éjectant d’elle comme on s’éjecte d’un avion qui se crash. Et en ces cas-là, on ne te laisse pas simplement t’éjecter. On prétend te créer un meilleur parachute, tout en le sabordant, pour ensuite te frapper d’un « mais sans moi, t’as ni avion, ni siège, alors un parachute, laisse-moi rire ! » et le pire c’est que tout le monde en rit, même toi. Et quand bien même tu parviens enfin à t’éjecter : on te traque, on te prend en chasse avec des missiles à têtes chercheuses et alors il faut soit avoir des bons réflexes, soit avoir des bons antimissiles, soit être bon mécano, et en fait, il faut être les 3.
Voilà, c’est ça Un Air de Famille. C’est un film que je connais par cœur « par défaut », sans vraiment en avoir eu le choix, qu’on a eu l’audace de me faire obliger aimer, qu’on a eu l’audace de juger, sans ne jamais s’identifier au film, sans ne jamais vraiment le comprendre. Et maintenant, loin de cette folie, Un Air de Famille, et bien c’est devenu un film d’horreur pour moi. Un film d’angoisse. Je pense que je ne le regarderai plus jamais. C’était la dernière fois. Entendons-nous bien : c’est exactement parce que c’est la dernière fois que je le regarde que je puis dire que c’est un bon film.
Est-ce un film ? Une pièce ? Je n’en ai tellement pas l’impression. J’ai l’impression que c’est juste le bruit ambiant de mon enfance qui revient hurler ses chœurs destructeurs dans mes tympans traumatisés.
Et vous savez le pire ? C’est qu’à une époque, où je pensais m’être émancipé de ma famille (on ne peut le faire sans la quitter définitivement et sans retour. Il n’y a pas d’autre remède possible ; du moins, je le pense.), j’ai montré ce film à mon ex. Ma plus longue relation. Et je lui avais reproché d’avoir trouvé ce film désagréable. Et sûrement étais-je tous les personnages à la fois contre elle qui était un Daroussin sincère. Et je voudrais tant m’excuser, maintenant, maintenant que je sais, que j’ai compris, enfin compris ce film, tant m’excuser envers elle. Ce film, si on vient d’une famille qui s’aime est alors peut-être encore pire à supporter, car il est totalement incompréhensible. En ce cas, on ne voit que des gens s’engueuler et se haïr sans ne jamais se préoccuper d’autre chose que de soi. Chanceux êtes-vous, ceux qui ne comprennent pas ce film !
Un Air de Famille est une grosse claque dans la gueule. Elle met du temps à faire du bien. Il faut attendre la toute fin du film pour que la bonbonne explose. La seule solution, ce n’est pas de se battre éternellement, mais de fuir une bonne fois pour toutes. Et si on croit d’abord en souffrir, on en est, ensuite, pour toujours heureux. Et fuir demande un courage bien plus exigeant que se battre.
Oui, je pourrais citer maintes répliques, commenter maints effets de mise en scène, de cadrage, je pourrais parler de la construction des personnages qui les enferme dans quelques phrases types, oui je pourrais parler du film et en dire beaucoup de bien. Mais je n’y arrive pas, car ça me fait mal d’aimer ce film, parce que ça serait comme aimer ma famille, et je n’en serais plus jamais capable.
Merci Un Air de Famille de me convaincre une bonne fois pour toutes de l’éternité de mon choix. Car ce film, personne ne mérite de le vivre, personne ne mérite de s’en reconstruire, et personne ne mérite qu’il soit touché à ce point en son cœur le plus secret et intime par une comédie aussi bien écrite et bien jouée.
Je souhaite à tous ceux qui connaissent cet air d’être parvenu à en changer et de ne plus en suffoquer. On peut en sortir et devenir son réel soi. Je le dis parce que je me rends compte du chemin parcouru entre mon dernier visionnage de ce film et celui qui s’achève à l’instant, qui sera la dernière fois.
Adieu Un Air de Famille, tu me fais mal de me faire ce bien. Ce n’est pas contre toi. C’est pour moi.
Adieu, Un Air de Famille.