Coutumier des adaptations littéraires plutôt difficiles (Le Tambour de Günter Grass, Mort D'Un Commis Voyageur d'Arthur Miller...), le cinéaste allemand Volker Schlöndorff n'a pas craint de s'attaquer au plus inadaptable des monuments : Marcel Proust. Pourtant, depuis le début des années 1960, quelques réalisateurs, et pas des moindres, partent en véritable croisade pour mettre en scène les personnages imaginés par l'écrivain. Après l'achat des droits d'adaptation d'À La Recherche Du Temps Perdu, René Clément préconisait de réaliser Un Amour De Swann avec Brigitte Bardot dans le rôle d'Odette. Le projet échut finalement entre les mains de Luchino Visconti qui l'offrit à Joseph Losey qui le proposa à Peter Brook. Pendant 20 ans, le projet s'est embrayé avant d'être sujet à d'épineux problèmes de production. C'est là que Schlöndorff intervient, habitué à relever les défis. Surtout les défis littéraires. C'est d'ailleurs ainsi qu'il a débuté sa carrière de réalisateur en Allemagne après son parcours en France aux côtés de Jean-Pierre Melville.
Lors de sa sortie en salles en février 1984, Un Amour De Swann fit hurler les puristes de la littérature proustienne. Et s'il est vrai que les images inventées par un metteur en scène ne seront jamais plus belles que celles créées par l'imagination d'un lecteur, il faut néanmoins reconnaître que le film de Schlöndorff existe fort bien tout seul en narrant une histoire d'amour unilatérale aussi désespérée que démentielle.
Un aristocrate, Swann, est raide dingue amoureux d'Odette qui n'est pas de son rang social, ni même son "genre" de femme. Il sait pertinemment qu'elle n'a jamais été un prix de vertu, qu'elle s'est un temps prostituée, qu'elle le manipule et qu'elle le fait tourner en bourrique. Il sait qu'il devrait impérativement fuir, mais Swann s'accroche, Odette l'obsède, il n'y peut rien, c'est elle qu'il veut. Elle en profite pleinement, surtout financièrement, et s'amuse à le rendre chèvre tout en lui faisant croire qu'elle éprouve, peut-être, quelques sentiments...
Swann, c'est Jeremy Irons. Il est si intense, si concentré, si passionné qu'il en fait oublier le personnage créé par Proust. Odette, c'est Ornella Muti. Aussi intense que son partenaire dans un rôle antinomique, elle déconstruit ici les clichés trop souvent accolés aux femmes fatales cinématographiques en interprétant, justement, le contraire de ce qu'elle incarnait en princesse de l'espace dans le peinturluré Flash Gordon. Ambigüe dans ses moindres regards et manipulatrice subtile, son jeu dissémine avec parcimonie toute la finesse d'esprit dont est doté le personnage d'Odette dans le livre originel. Du grand art.
Et puis il y a Delon. Il est aussi éblouissant que magnifique dans le rôle de Charlus, homosexuel mondain à l'affut perpétuel de tout jeune adonis. À cent mille lieues des rôles de flics badass dans lesquels il s'est spécialisé entre 1977 et 1988, il gomme totalement Delon pour créer Charlus et c'est impeccable. Il y a également Fanny Ardant et Marie-Christine Barrault, toutes les deux fantastiques, achevant de magnifier un casting 5 étoiles pour une adaptation cinématographique ne faisant aucunement honte au chef-d’œuvre littéraire de Proust, bien au contraire.