Mélodrame japonais méconnu
Un petit bijou, ce mélodrame captivant qui relate la tragique histoire de Sadako et Takashi. Sadako est une modeste employée d’auberge où elle est repérée par le fils d’un riche propriétaire terrien qui vient de rentrer de la guerre. L’homme a entendu dire que Sadako attend le retour de Takashi. Il se fait servir un verre de saké par Sadako qu’il trouve séduisante. Takashi, il l’a côtoyé pendant la guerre et il le déteste. Lui-même vient de rentrer avec une blessure à la jambe qui va le handicaper jusqu’à la fin de ses jours. Il est beau mais cela ne suffit pas pour plaire à Sadako. Mais l’homme est riche et puissant. Il va forcer Sadako à l’épouser. Takashi rentre trop tard pour s’opposer au mariage. Nous sommes en 1932, première période d’un film qui en compte 4 autres : 1944 (époque de la bombe d’Hiroshima), puis 1949, 1960 et enfin 1961 année du tournage du film (nommé aux Oscar 1962, dans la catégorie du meilleur film étranger). Le début de chaque période est ponctué par un intermède musical de falmenco : guitare, castagnettes et quelques paroles au ton nostalgique et désespéré qui commentent l’histoire. C’est à la fois inattendu et parfaitement adapté.
Le film montre les conséquences du mariage de Sadako avec cet homme qu’elle va toujours détester tout en continuant d’aimer Takashi, bien qu’ils s’évitent désormais. Chacun de leur côté, Sadako et Takashi auront des enfants. Des enfants qui subiront à leur tour les conséquences des mariages non voulus de leurs parents respectifs. Kinoshita fait sentir combien tout cela s’enchaîne de manière assez implacable. Et il symbolise la menace permanente qui pèse sur cette communauté en la situant à proximité d’un volcan qui pourrait entrer en éruption à tout moment.
Le film perd légèrement en tension à certains moments, c’est le seul reproche que je puisse lui faire. Sinon, le réalisateur Keisuke Kinoshita se montre d’une grande maîtrise pour présenter toutes les facettes d’un drame qui court sur plusieurs décennies et plusieurs générations. Il montre comment une femme a pu accepter de passer sa vie en compagnie d’un homme brutal et arrogant qu’elle déteste, parce que la société à laquelle elle appartient est organisée de façon à permettre cela. Sa haine évidemment partagée par son époux (puisqu’elle ne s’en cache absolument pas) a des conséquences dramatiques sur son entourage. Le réalisateur s’attache également à montrer les conditions de vie traditionnelles, avec en particulier les parents qui sont pris en charge par leurs enfants quand c’est nécessaire. Description sans la moindre concession de la société japonaise de l’époque. Avec une organisation héritée de la société traditionnelle féodale.
Kinoshita utilise une image large de type cinémascope et un noir et blanc de qualité, avec une remarquable économie de moyens : les mouvements de caméra sont discrets. Il filme plutôt des intérieurs, souvent avec une perspective étonnante. Et il se permet un traveling de quelques secondes, en extérieur, pour mettre en évidence un moment exceptionnel où Sadako et Takashi se retrouvent en tête-à-tête de manière totalement imprévue. C’est assez naturellement que, en plein drame, Takashi entraîne Sadako par la main. Mais les deux réalisent rapidement qu’ils n’ont pas ce droit…
Petite remarque pour conclure : je n’ai pas utilisé le prénom de l’époux de Sadako, car il n’est jamais utilisé par celle-ci. Moyen très simple de faire sentir le peu d’estime qu’elle a pour lui.
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