De remarquables dialogues, encore une fois. Dont la mise en scène est peut-être moins axée sur le choc entre les différents discours - il faut rappeler que, dans En guerre, il s’agissait de dialogue social ; ici les discussions se tiennent presque exclusivement entre dirigeants. Dans Un autre monde, Brizé semble davantage s’attacher à la sémantique, et parvient très bien à faire percevoir le travestissement du langage et du sens des mots, par une caste de décideurs dont il fait un portrait peu reluisant - avec, sous le coude de chacun d’entre eux, cette "loi du marché" qui serait la norme linguistique (le "dictionnaire" serait-on tenté de dire) et incontestable.
Ainsi peut-on entendre, entre autres exemples, de la bouche de Lindon (qui joue cette fois le rôle du chef d’entreprise), s’adressant à son DRH qui vient de lui expliquer qu’il sait très bien, lui, pour les recevoir chaque jour dans son bureau, l’usure et la fatigue des employés dus aux cadences infernales et à la succession des plans sociaux : "Oui mais tu me parles de nos collaborateurs les plus fragiles...". Réponse du DRH : "Mais c’est l’entreprise qui les a fragilisés !". Les mêmes mots, utilisés à des fins toutes différentes...
Là où l’écho avec En guerre se révèle particulièrement cruel, c’est dans le dénouement du film. S’il est presque apaisé dans Un autre monde (on pourrait presque imaginer que le personnage peut dorénavant s’occuper de réparer les dégâts qu’il a causés, il peut se le permettre il a du patrimoine), le final de En guerre, on le sait, est d'un jusqu'au boutisme radical et destructeur. Ce qui laisse à penser la chose suivante : c’est la classe sociale (toute différente) de ces deux personnages, situés aux deux pôles d’une même situation, qui détermine l’issue de celle-ci. Et l’on pense inévitablement au personnage de En guerre (facile, il est joué par le même acteur), réapparaissant comme un "souvenir vibrant". Souvenir au goût amer. On en ressort le souffle coupé !