(Difficile de parler du film sans spoiler. Vous êtes prévenus.)
Un élan moderne traverse la structure du film : double, divisée en deux parties symétriquement opposées, elle opère à la jointure un brusque changement de direction jubilatoire, totalement inattendu et étonnant, donnant naissance à deux enfants, frères certes, mais différents comme le jour et la nuit. En effet, ce sont bien deux créatures contraires qui habitent chacune des deux parties du scénario (écrit d'après le roman éponyme de Vincenzo Cerami) : la première comique, farcesque loufoque, grinçante, sarcastique ; la seconde sombre, violente, tragique - progénitures nées d’un même corps pensant, Monicelli, habitué à de tels rejetons (Le Pigeon, Les camarades et surtout La grande guerre), qui forment sous son sein une fratrie très unie.
La métaphore filée de la filiation n’est pas innocente : l’action du film repose sur le fils, à travers la transmission, la recherche de son envol puis la vengeance de sa mort. Or, au fond, Monicelli use de ce sujet comme un prétexte pour distiller son fiel envers le médiocre et majestueusement ridicule petit bourgeois, type de l’Italien moyen - souvent cible de l’ironie corrosive du cinéaste - ici pointé du doigt dans des scènes souvent hilarantes. Et pour mieux coller à cette ambiance, il filme une ville de Rome qui n’a certainement jamais été si laide au cinéma, exaspérante de bruit et de chaos, invariablement pluvieuse, couverte par de tenaces couches de gris et construite de monotones et insignifiants bâtiments résidentiels habités par des êtres moyens.
Cependant, Monicelli, pris de compassion envers les siens, ne peut s’arrêter à cette peinture peu flatteuse, d’où la seconde partie du film où la noblesse des sentiments vient contraster avec la bassesse des personnages dont aucun n’a été épargné. Alberto Sordi, père orphelin de son fils, surprend dans ce rôle à contre-emploi, laissant sa veine comique pour arborer d’un côté une expression de froideur et de calcul vengeur, devenant soudainement héros après avoir été pleutre, et en même temps une attitude admirable d’homme dévoué aux siens - le tout au milieu des formelles et hypocrites déclarations d’affliction des collègues dont il fut lui aussi l’auteur.
Malgré quelques longueurs et redondances, Monicelli divertit, surprend et impacte le spectateur dans un film à la construction remarquable.