Pour l'instant, dans mon parcours de la filmographie de Robert Bresson, c'est à travers l'exploration de thématiques très pragmatiques (comme la cleptomanie ou l'emprisonnement) que son discours et son style ont été les plus intelligibles. Ses intentions en matière de non-interprétation, en faisant intervenir des acteurs non-professionnels pour tendre vers une forme d'abstraction naturaliste, peuvent dans ces conditions se concrétiser sans que je me sente rejeté.
L'austérité caractéristique de son œuvre ne s'accompagne pas ici de l'artificialité qui me la rend parfois indigeste. Le cadre (thématique, géographique, formel) se suffit à lui-même : un prisonnier enfermé dans un camp nazi projette de s'évader. Comme pour tuer tout suspense, Bresson nous indique le contenu et l'issue de son film dès son titre... Et pourtant, l'expérience n'en sera pas restée moins immersive, voire palpitante par moments. Je reste bien plus amateur de la méthode Becker (Jean) dans "Le Trou" qui sortira 4 ans plus tard, d'après mes souvenirs, mais il y a une composante originale du côté de Bresson, au-delà du dénominateur commun autour de la minutie des gestes et des préparatifs : l'attente de la mort, sans cesse rappelée par des coups de fusil qu'on entend résonner dans toute la prison. Et ce cadre, toujours enserrant le personnage, ne laissant jamais respirer par des plans larges. La thématique, elle aussi asphyxiante par son abstraction — il pourrait tout aussi bien être question d'un contexte parfaitement différent pour donner corps à cette mission d'évasion, à quelques détails près.
C'est d'ailleurs un élément parmi d'autres, dans tout le travail de contextualisation sonore conduit avec beaucoup d'application pour retranscrire un environnement particulier (Bresson l'annonce en introduction : "Cette histoire est véritable. Je la donne comme elle est, sans ornements"). Tout le film tournera autour de la position de son protagoniste, son point de vue, et tout son travail de préparation pour une hypothétique (ou pas) évasion. Démonter la porte de sa cellule, confectionner un objet tranchant à partir d'une cuillère, fabriquer une corde suffisamment résistante et plusieurs crochets, repérer les lieux, collecter des informations auprès d'autres prisonniers... L'austérité de la mise en scène trouve un écho dans la rigueur avec laquelle sont décrits tous les petits gestes du prisonnier (et un contraste étonnant dans l'utilisation de la musique classique). Des préparatifs étonnamment accessibles pour un film de Bresson, sentiment étrange. Mais la dimension morale et spirituelle (cette dernière m'étant peu accessible, même si elle a trait au libre-arbitre à quelques moments, "ce serait commode si Dieu pouvait agir sur tout") de cette évasion ne tardera pas à se faire sentir : l'évidence se fait progressivement quant à la force de volonté de Fontaine, l'espoir qu'il nourrit (la composante religieuse est représentée à travers deux prisonniers), l'instinct de survie qu'il alimente. Un mélange de détermination et de persévérance à l'origine d'une étrange ascèse, une philosophie de vie qui se faufile jusqu'à la séquence finale, conclusion de l'évasion, très belle victoire.