« Je ne t’ai jamais aimé » (Amalric). « Moi non plus je ne t’ai jamais aimé » répond Deneuve, avec la plus simple honnêteté. Du franc-parler franc-maçonnique. Dans cette famille, on se dit les choses, par conséquent il n’y a pas de « non-dits ». Je ne t’aime pas alors je te le dis, c’est tout. C’est cette logique déconcertante qui est confondante dans le film.

On se dit « ta gueule », comme on se dirait « passe-moi le sucre ». Les mots violents et cinglants se lancent telles des balles de ping-pong, et les réactions de chacun se prenant le mot en pleine poire sont plutôt placides, hormis peut-être quelques exceptions. Mon fils ne m’aime pas, ça ne fait rien je m’en fous. Ma sœur me hait. Et alors ? Je n’en connais pas la raison mais bon c’est comme ça, et puis il faut vivre avec. De toute façon, il faut bien continuer à vivre, et ne pas se morfondre comme une loque.

Evidemment, le film se passe durant les fêtes de Noël, comme son titre et l’affichent du film l’indiquent bien. Le côté « WALT DISNEY pictures présente » douillet, confortable, familialiste. Desplechin dépeint des personnages tourmentés, aux maux inavoués, qui trouvent refuge dans une culture bourgeoise classique faite de poésie et de littérature pro-intellectuelle. La famille en question, personnage à part entière, cronenbergien, malléable à l’image des relations et tensions nerveuses qui régissent son pouls, est composée de cette brochette d’acteurs sensationnels, jusqu’à la grand-mère, symbole de stabilité et de calme.

Et il y a du beau monde dans cette famille. Une dure réalité est pointée du doigt, de manière grinçante : tous les « acteurs » d’une famille nombreuse ne peuvent pas s’aimer, pour plein de raisons. Et c’est mieux ainsi, c’est plus sain, plus viable même, semble nous dire Arnaud Desplechin. Les membres d’une famille sont simplement corrélés par le sang seulement, et encore. Quand Amalric ce vilain petit canard, ce rebus de la famille cette crasse déshonorante et haïssable, ce vil cancrelat d’une génération, cette tâche généalogique, fait don d’une greffe de moelle à sa mère atteinte de leucémie, celle-ci dit que son sang réagit mal au sang de son fils, tant « détesté avec amour ».

Règlements de comptes à Roubaix, insultes, disputes, coups de gueules, histoires enfouies ressurgissant à point nommé. Cependant, beaucoup d’amour (tout de même) est emberlificoté dans cette grande maison. Le paternel (Jean-Paul Roussillon) aime tous ses enfants, l’un de ses fils (Amalric) n’est pas aimé par sa mère (Deneuve). Rien à foutre, il déteste sa maman. C’est mieux que d’avoir une mère poule étouffante. La sœur (Anne Consigny) hait carrément son frère (Amalric) et est un peu chiante en jeune bourgeoise fragile et psycho-rigide qui ne se fait pas assez péter le cul par son mari d’Hyppolite Girardot qui envoie un pain dans la gueule d’un Amalric aviné, hilare et maso.

Et puis il y a un autre frère, sympathique, apprécié de tout le monde, dont sa femme (bien appréciée du cousin qui s’invite à la fête puisque c’en est une de fête de famille) est difficilement « cernée » par la mère. Elle le lui rend bien. Le neveu aime beaucoup son tonton qui pourtant le méprise un peu. Emmanuel Devos, vraie bombe sexuelle, arrive dans le tas en amie un peu barrée d’Amalric, donne encore plus d’envergure à cette oeuvre, qui cristallise tous les espoirs qu’on peut mettre dans un film français : réalisation chiadée, scénario de qualité et compositions d’acteurs (tous) inspirés au sommet de leur art (tous) .

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le 16 mai 2013

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Errol 'Gardner

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