Un coup de maître n’est pas parvenu jusqu’à nos frontières par hasard ; comme le monde de l’art et de la peinture est toujours questionné et le succès de certaines œuvres contemporaines discuté. Il s’agit pourtant bien d’une comédie, au ton oscillant entre le drame et le « feel-good » qui n’a d’autre volonté que de plaire et faire entendre son chant par-delà l’Atlantique.


Arturo Silvo est le propriétaire d’une galerie d’art à Buenos Aires et désespère de l’état comme de la situation de Renzo Nervi, un peintre adulé quelques années plus tôt, à présent oublié ou pensé mort. En effet, le Maître refuse de s’adapter au marché et s’enferme dans la misanthropie voire le mépris du monde entier, se revendiquant égoïste et d’une vocation « inutile », cependant que son ami tente systématiquement de le sortir de la ruine.


Le film parvient à nous transporter dans l’univers bariolé d’un peintre, fictif, oubliant la touche historique et par là même l’artificialité des portraits pseudo-biographiques comme on peut en trouver dans le genre du biopic. Exit donc les artistes incompris et torturés, les personnages se moquant même souvent de cette conception au profit d’un fond plus affectif ; l’histoire d’une amitié comme on en rêve dans le meilleur des mondes ; empreinte d’attentions, de fidélité. Elle ne délivre pas moins une critique virulente du commerce des œuvres d’art et de son hypocrisie ; beaucoup de peintres et sculpteurs ne connaissant le succès qu’à titre posthume, luttant désespérément contre les modes. Renzo lui choisit de poursuivre son activité sans taire son dégoût pour ce qui se fait ailleurs, constituant son propre univers dont Rembrandt serait la pierre angulaire, même substituée à Jésus Christ. Il est pervers, menteur, égocentrique, et parvient même à se faire détester de ses proches. En outre Un coup de maître se paye-t-il le luxe de développer ses personnages en profondeur, les rendant plus attachants/méprisables et surtout réels ; le réalisateur saluant d’ailleurs l’interprétation de Guillermo Francella et Luis Brandoni qui portent le film à eux seuls, parvenant à alterner les phases sérieuses et comiques sans jamais sonner faux. Il joue aussi avec les attentes du spectateur en présentant volontiers son protagoniste comme un assassin ; à la manière d’un American Beauty ; tout en jouant des moments creux pour créer des tensions viscérales. Bien sûr, la mise en scène, les couleurs et prises ne payent pas de mine, quoique la campagne argentine ait quelque chose d’onirique. Le résultat n’en est pas moins hilarant de sincérité, le cynisme de son propos contrebalançant à merveille les passages les plus naïfs sans jamais se perdre dans une critique sociale plutôt déplacée. Les contestataires étant eux-mêmes bouchés sinon malhonnêtes, il paraît dès lors impossible de leur donner raison, encore moins de les incriminer.


Mi Obra Maestra porte bien mieux son nom en espagnol, puisqu’il met autant en exergue le maître que son œuvre, paradoxalement dédaignée. On regrettera seulement de ne pas voir davantage les rues de Buenos Aires, la ville paraissant se fondre dans le moule occidental, sans une touche de couleur ; le chatoiement d’une Amérique latine dont l’Europe raffole. Cela étant, le désenchantement fait aussi partie des plus grandes qualités du film : le fantasme ne suffit pas à nourrir.

Lapachellas
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le 29 févr. 2020

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