Une surprise peut en cacher une autre et Manele Labidi ne déçoit pas pour son premier long-métrage. L'originaire de la Tunisie porte un regard sur un pays en reconstruction, que ce soit sur le plan social, administratif ou économique. Et c'est avec de bons humains qu'on y parvient. Le choc de cultures nous (ra)mène à dépeindre un territoire qui se dissocie de celle pratiquée outre-Méditerranée. Mais ne faudrait-il pas en déduire plus derrière ce drame déguisé en comédie ? Les réponses viendront d'elles-mêmes, tantôt frontalement tantôt avec subtilité. Malgré cela, le film dégage une énergie à l'image de son premier rôle très convaincant et qui rend hommage à une génération qui finit parfois par faire le grand bond en arrière.
Une jeune psychanalyste emprunte donc un chemin similaire et s'offre l'opportunité de rebondir malgré le système restreint de l'hexagone. Pourtant, elle finit par se frotter à une réalité presque déplacée et pourtant si singulière. Les langues se délient depuis la fin d'une révolution et d'une dictature qui a longtemps formatée un pays dans la crainte et l'adoration d'une figure idéaliste. Ce point de repère supprimé, Selma peut ainsi exister dans un univers où les névroses et autres troubles mentaux ont besoin de soutien. Golshifteh Farahani interprète avec brio une femme revancharde et qui assume pleinement le célibat ainsi son caractère engagé pour le métier qu'elle exerce. Mais le point de vue restera longtemps féminin, jusqu’à découvrir que la liberté n’est pas toujours acquise, car elle n’est pas toujours comprise. Et la comédie au parfum italien fait donc irruption dans ce décalage, parfois à outrance, rendant ainsi les situations plus grotesques et crédibles. On nous montre en quoi un système oeuvre toujours à conditionner les mentalités. La période de transition trouve donc son écho dans ce récit qui pousse la thérapie de groupe à son paroxysme.
Mais l’intention n'est pas toujours accompagnée d’élégance et au niveau scénaristique, on le ressent. Dans le genre de la comédie, on préfère superposer des séquences de rires afin d’appuyer la tension dramatique qui en découle. Mais le film n’ose pas entièrement épouser la folie attendue. De plus, il faut noter une inconsistance précédant un dénouement catapulté et noyé dans la facilité, mais retenons surtout l’essentiel, à savoir les traumatismes qui n’espèrent plus qu’une destination : le divan de Selma. La religion et la culture doivent également passer un cap pour être à l’écoute, c’est pourquoi la déontologie de la psychanalyse se heurte à des personnalités tellement excentriques qu’on ne peut tout reposer sur la science humaine. Il faut comprendre qu’il existe des limites, que l’on comprend tout à fait à la distinction de Freud et de sa barbe “revenue à la mode”. Le fossé entre l’étrangère intellectuelle et la native d’une société, qui n’a cessé de prier pour sa prospérité transforme cette comédie en une douce réflexion sur les fantasmes que chacun se cache.
Avouons toutefois l’efficacité du propos et d’un discours qui trouvera son public. "Un Divan à Tunis" nous rappelle ô combien l'immigration n'est pas toujours la bienvenue, quand bien même on se sent chez soi ou qu'on rentre chez soi. On répond par la thérapie Freudienne et tout le monde y passe. La vitalité des locaux est troquée contre de la fragilité que l’on met à profit, pour la conscience des patients eux-mêmes, mais également d’un pays qui s’enfonce en territoire inconnu. Pourtant, on nous rappelle que l’unité fait la force d’une Tunisie apaisée et qui se redonne lui-même l’espoir de voir naître une autorité mesurée, ainsi qu’une identité forgée dans la responsabilité de chacun et la confiance en son prochain.