L'art du pilleur de troncs
Une des comédies les plus enlevées de Mocky, grinçante et irrévérencieuse. Cinéaste inégal qui s'est commis souvent dans des caricatures outrancières, il a toujours pratiqué un humour très...
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le 27 juil. 2017
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Le vilain garçon Jean-Pierre Mocky, grand distributeur de poil à gratter, signe avec Un drôle de paroissien l’un de ses films les plus connus et pourtant pas l’un de ses moins apaisés. Quand Mocky pointe du doigt, gare à la sentence.
Avec la famille des Lachesnaye, c’est la vieille aristocratie qui récupère son coup de pied aux fesses généreusement offert par Mocky. Une belle et "noble" famille dont il ne reste plus grand chose de la grandeur passée dans leur grand appartement, les meubles ont quasiment tous été vendus, les murs sont décrépis, le chauffage provient de la cheminée du voisin, et chacun se débrouille comme il peut pour ramener un peu de nourriture ou profiter de la gentillesse d’autrui.
Il faudrait travailler ? Ha ça, non, jamais, hurle le patriarche, c’est une question d’honneur. Et c’est tout ce qu’il leur reste, selon eux, alors qu’ils sont des miséreux comme les autres. Georges, le fils ainé, est gentil et bricoleur, et c’est lui qui va trouver la solution. Interprétant un signe de Dieu, il va se mettre à piller les troncs d’églises de Paris, bien nombreux, suffisamment pourvus pour que les Lachesnaye puissent en profiter.
Georges est un grand naif, un idéaliste, convaincu d’agir au nom de Dieu et pour le bien de sa famille. Bourvil signe sa première collaboration avec Mocky, il y en aura d'autres, dont le libertaire La grande lessive(!) et le sarcastique L’étalon, tous deux chaleureusement recommandables. Le réalisateur et scénariste à la grande gueule a un peu trop rapidement prétendu que c’était lui qui avait sorti Bourvil de ses rôles de campagnards idiots, mais en tout cas l’acteur s’amuse dans ce film, avec une stature aristocratique, un calme olympien et une ingéniosité inébranlable.
Il faut d’ailleurs apprécier comment le film s’appuie sur ses dialogues savoureux. Certaines rhétoriques assurées pour faire accepter les pires idées sont exquises, à l’image de celle de Georges qui explique pourquoi ce qu’il fait n’est pas du vol. D’autres échanges verbaux sont dynamiques, comme un jeu de balle, grâce à des personnages fortement mais bien catégorisés. L’ami de Georges, Raoul, est un petit filou gouailleur, interprété par Jean Poiret, qui le joue tout en gourmandises.
Le portrait de cette famille hypocrite est si croustillant qu’on aurait aimé en avoir plus, mais le fil du film va glisser sur un jeu du chat et de la souris, entre Georges puis Raoul, aux organisations de plus en plus précises et préparées, poursuivis par la police des églises, dans un rapport de force assez déséquilibré, mais pas à l’avantage de ces policiers. L’inspecteur Cucherat mènera les premières danses, interprété par un roublard Francis Blanche, mais toute l’équipe est une belle distribution de gueules, comme les affectionnait tant Mocky.
Le réalisateur assure d’ailleurs un métrage toujours renouvelé, aux dialogues relevés, aux situations qui ne s’enlisent jamais, sans adopter un tempo trop excessif. Les cadrages sont étudiés, avec certaines belles scènes, que le noir et blanc appuie. Il n’a pas forcément dû être évident de tourner dans ces églises, et pourtant malgré les urgences des tournages, entre deux offices, messes ou enterrements, il fallait aller vite et efficacement, ce qui explique peut-être l’absence de certaines maladresses de l’auteur. Le passage en couleur peut sembler de trop, mais il aurait été tourné et ajouté après pour que le film s’approche un peu plus des traditionnels 1h30.
Avec un tel sujet, le vol dans les églises, on peut s’étonner que Mocky ait eu l’autorisation de tourner à l’intérieur des 24 (!) concernées dans le film, mais selon deux versions (rapportées par lui-même), cela avait été autorisé grâce à sa fin, qui aurait une morale (mais on peut en discuter) ou alors parce qu'il menaçait de tourner un film sur l’affreuse histoire du curé d’Uruffe. Le film est d’ailleurs le témoignage d’un certain Paris des années 1960, avec ses églises remplies de troncs ou leurs façades noircies par la pollution, et ses voitures partout à l’extérieur, ou d’autres points plus amusants, tels que l’importance des vieux bistrots, pour tous, George ou pour les policiers, des espaces de vie et de rencontres.
Avec Un drôle de paroissien, Mocky signe une comédie au rythme bien huilé, portée par des comédiens qui semblent, tant pis pour le cliché, contents d’être là. Mais en même temps le réalisateur n’hésite pas à offrir quelques claques bien senties aux figures de l’autorité, aux grands de ce monde, les vieilles familles et leurs hypocrisies, les églises et les fonds qu’ils récupèrent, ou l’incompétence assez manifeste de la police, fût-elle chargée de la surveillance des églises. Réjouissant et mordant.
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Créée
le 10 avr. 2021
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