Cowboy mutique et mythique immortalisé par Sergio Leone et en passe d'être propulsé au rang de superstar virile grâce au vénère Dirty Harry de Don Siegel, Clint Eastwood passe pour la première fois derrière la caméra pour les besoins de Play Misty for Me, tourné pour 725 000 dollars et en avance de deux jours sur le planning, rapportant au final plus de cinq millions de dollars au box-office.
Autant dire un premier essai franchement concluant pour le futur réalisateur de Unforgiven qui faisait déjà preuve d'un professionnalisme exemplaire et d'un véritable talent de metteur en scène, illustrant sans fioriture ni maniérisme le script de Jo Heims et Dean Riesner. Un choix d'ailleurs étonnant de la part du comédien, qui aurait largement pu jouer la carte de la sécurité et rester bien douillettement dans un univers familier.
Bien au contraire, Eastwood préfère aller là où on ne l'attend pas, remisant momentanément les colts au placard pour mieux jouer avec son image de playboy dur à cuir, continuant la démystification débutée par son maître Don Siegel avec le vénéneux The Beguiled. Comme il ne cessera de le faire tout au long de sa filmographie, l'acteur / réalisateur semble prendre un malin plaisir à écorner son étoile, à pervertir le regard que portent sur lui les spectateurs, incarnant ici un DJ sûr de lui (du moins en apparences), queutard notoire devenant le jouet impuissant d'une cinglée parfaitement incarnée par Jessica Walter, figure tout aussi flippante que tragique annonçant quinze ans avant la Glenn Close de Fatal Attraction, en moins moralisateur.
Miroir à peine déformé de ses rapports conflictuels avec les femmes, entre séduction et chaos, Clint Eastwood en profite également pour observer une société en plein changements, en pleine révolution, le conservatisme de années 50 se voyant emporté par les idéaux plus hédonistes et libertaires des années 60, touchant non plus une seule partie marginale de la population, mais bien la classe moyenne.
Privé de studio, le cinéaste en profite pour magnifier sa ville natale Carmel, mettant en boîte de superbes images, tout en imprégnant son film de son amour pour la musique et le jazz en général, captant d'excellentes séquences musicales au festival de Monterey. Un aspect presque documentaire, pris sur le vif, qui tranche avec des scènes de suspense extrêmement cinématographiques, convoquant forcément Alfred Hitchcock.
Thriller domestique tout autant que réflexion d'un artiste sur l'image qu'il renvoi à son public, Play Misty for Me est un premier film maîtrisé et prometteur, qui laissait déjà entrevoir tout le talent d'une star insaisissable mais fascinante.