Après trois longs-métrages en mode "téléphone blanc", De Sica, qui n'était plus un perdreau de l'année (depuis plus de dix ans il caracolait dans les merveilleuses comédies de Camerini) passe à l'étape supérieure avec cette éblouissante fantaisie en costumes, qui trouve un équilibre parfait entre vaudeville XVIIIe (un ton impertinent à la Beaumarchais) et ampleur romanesque (le récit est raconté en flash-back, faisant résonnner la dimension historique et la gravité réelle des événements dans la vie de ses protagonistes).

Le Risorgimento a ceci de pratique qu'il contente autant les fascistes (chant à l'union de la patrie) que les antifascistes (résistance à l'occupant). De Sica bénéficie donc de moyens considérables, malgré la pénurie liée à la guerre - à court de tissu, le département costumes peindra directement les motifs sur les robes. La relation entre les deux jeunes femmes est observée avec un art savoureux du portrait : la brune (Carla Del Poggio, future épouse de Lattuada, qui avait déjà tourné avec De Sica et monte admirablement à cheval) vs. la blonde (Maria Mercader, qui deviendra, elle, l'épouse de De Sica), soit la bourgeoise parvenue vs. l'aristocrate ruinée, réunies malgré elle dans un couvent où la rivalité familiale va s'estomper au profit d'une complicité inédite - une sororité, dirait-on aujourd'hui - contre l'ordre établi des religieuses (l'une élève une souris en cachette, l'autre lit des livres interdits). Avant que la grande Histoire ne fasse irruption dans ces murs confinés pour les réunir au chevet d'un soldat blessé, héros garibaldien... qui n'est autre que le fiancé de la blonde. Voici fissa nos deux filles politisées !

Dix ans avant que De Sica n'irradie le chef d'oeuvre d'Ophuls, on pense déjà au ton virvoltant des comédies costumées de celui-ci (La fiancée vendue, La tendre ennemie) et, logiquement, au courant dit "calligraphique" des films d'époque tournés sous Mussolini (dont Soldati et Castellani première manière furent les tenants). Mais point trop de sérieux ici, seul compte le trait vif et l'humour de caractère. Quelle galerie, entre l'épouvantable commère, la petite religieuse sautillante, le gentil gardien éleveur d'oiseaux, et surtout ce couple truculent : la marquise snob et le bourgeois éconduit qui rimaille, ranimant tous deux les archétypes du théâtre classique avec un sens réjouissant de la caricature. In fine, un gros plan sur le pendentif d'une vieille dame dira furtivement le tragique d'une vie marquée par l'Histoire et toute vouée au souvenir d'un amour fulgurant. C'est le plus méconnu des grands films de De Sica.

LunaParke
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le 4 janv. 2024

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