Un jeune cheminot rencontre une institutrice, fille d'un pasteur renommé. Ils vont vivre ensemble et se marier contre son avis, mais peu de temps après, le mari montre des signes de rébellion contre les blancs, car il est noir de peau...
Jusqu'à la veille d'écrire cette critique, je ne connaissais pas du tout Michael Roemer, mais son parcours est en soi très intéressant. Durant les années 1960, il va réaliser en indépendant trois films importants, dont Nothing but a man, mais il va laisser tomber le cinéma en 1966 pour devenir professeur de l'art jusqu'à sa retraite à la fin des années 2010 ! Ce qu'il a réalisé est passé plus ou moins à l'as jusqu'à ce que ses enfants en découvrent la trace dans les années 1990, et qui vont pousser Roemer à les exploiter en catimini dans des festivals. Jusqu'à leur renaissance en 2022 sous l'impulsion de Ronald Chammah (par ailleurs compagnon de Isabelle Huppert) et leur nouvelle exploitation en salles l'année suivante dans des copies restaurées.
Par ailleurs, Nothing like a man était le film favori de Malcom X, mais ça s'explique.
En somme, c'est l'éveil de la conscience d'un homme de couleur noire, joué par Ivan Dixon, dans une Amérique des années 160 où la Ségrégation existe encore, où les personnes de couleurs sont regardées en chiens de faïence par les blancs, où les noirs doivent obligatoirement s'asseoir au fond du bus... En somme, il ne voit pas cette différence quand il travaille au départ comme cheminot auprès de ses amis qui sont tous noirs (c'est d'ailleurs le premier rôle d'un tout jeune Yaphet Kotto), mais dès qu'il quitte ce métier pour se rapprocher de son épouse, et notamment pour travailler ailleurs, on le pointera toujours du genre qu'il est différent. Ce qui va le pousser à vouloir mobiliser ses autres collègues de travail de couleur noire pour avoir de meilleures conditions de travail, mais sa grande gueule va en quelque sorte se retourner contre lui. Le film est complètement de son temps, avec les clichés racistes que ça comporte quand un blanc parle d'un noir (à savoir qu'il peut bosser en tant que majordome ou pour couper du coton), mais que peut faire Ivan Dixon dans une société qui ne demande qu'à muter ? Il y a aussi la très bonne Abbey Lincoln (qui était par ailleurs chanteuse), incarnant son épouse, mais je comprends très bien que Nothing like a man pousse à la révolte car il y a de quoi.
L'autre grand mérite de l'histoire est de ne pas présenter Ivan Dixon comme quelqu'un de parfait. C'est loin d'être le cas, il a une histoire familiale assez compliquée, avec un fils de quatre ans dont la mère ne le veut plus, et il ne sait même pas si il est de son sang, ainsi qu'un père alcoolique qui part peu à peu vers une déchéance fatale, sans compter son caractère qui s'affirme peu à peu, jusqu'à rejaillir sur son épouse.
Il en résulte un film formidable, tourné sans doute à l'arrache et avec des moyens insignifiants, ce qui explique aussi les faux raccords à répétition, mais le sujet est inévitablement très fort, porté en plus par l'excellente musique de la Motown.