Le maquis s'amuse
Dès son deuxième film, Costa-Gavras faisait preuve d’un féroce sens de l’image. La mise en scène d’un homme en trop est mue par une ambition farouche et un savoir-faire à sa hauteur. Qu’il s’agisse...
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"Un homme de trop" est un film que je voulais revoir. Seulement, il n'était plus réédité en DVD individuel (comme "Compartiment tueurs") à mon grand dépit ... Et puis, la maison d'édition a dû m'entendre puisque toute une série de films de Costa-Gavras a été récemment rééditée ...
Ce film est la deuxième réalisation de Costa-Gavras et là, on sent déjà poindre son engagement politique à travers un épisode de la Résistance française en 1943 dans un maquis cévenol.
Le scénario est directement tiré d'un roman éponyme de Jean-Pierre Chabrol dans lequel il y a très certainement une base importante d'expérience vécue. Le roman (que j'ai lu il y a longtemps) me parait plus explicitement politique que le film. Mais dans l'ensemble, l'esprit du film est assez fidèle.
Pour résumer le scénario du film sans trop dévoiler l'intrigue, un groupe du maquis cévenol attaque une prison où 12 résistants sont condamnés à mort dont un ponte de la Résistance et parvient à grand peine à les libérer. Mais dans la confusion, treize prisonniers sont embarqués : il y a bel et bien un homme de trop qu'il est difficile de détecter car une partie des prisonniers condamnés et libérés n'est pas connue des gens du maquis. Cependant, après divers recoupements, tous les soupçons convergent vers "un type". La question qui se pose alors est de savoir si c'est un "espion" placé délibérément là pour s'introduire dans le maquis ou est-ce un simple prisonnier de droit commun.
Ce débat sera le fil rouge du film entre ceux, partisans de la liquidation et ceux partisans d'obtenir confirmation par une enquête un peu plus approfondie. Ce débat est troublé par le comportement du "type" qui est plutôt accommodant et serviable. Sa position personnelle est qu'il ne s'intéresse pas à la politique et au conflit et se refuse à prendre parti pour un camp ou l'autre.
Le débat trouvera une amorce de réponse lors de l'attaque généralisée du maquis par l'armée SS.
Les héros purs et durs habituellement représentés dans les films et romans relatifs à la Résistance sont un peu désacralisés ici car ces divergences d'opinion et de comportement induisent une grande confusion dans la maîtrise du maquis par essence, hétéroclite.
Le chef de groupe Cazal a une rude tâche pour unifier des gens de bords très différents qui constituent le maquis : des espagnols rescapés de la guerre d'Espagne, des idéalistes purs genre commissaire politique (Jean) qui prônent "en cas de doute, mieux vaut couper le bras" ou des idéalistes genre humanistes (Thomas) qui prônent "est-ce qu'il ne vaut mieux pas pour notre combat (pour la liberté) éviter de tuer un suspect qui ne serait pas coupable et le gagner à notre cause".
Même le devenir d'un milicien français prisonnier et blessé, ouvertement pro-allemand, fait débat.
Tout ceci fait apparaître un certain amateurisme (pour ne pas dire un amateurisme certain) qui a probablement un fondement de vérité. Et d'ailleurs, le chef de groupe Cazal lâche à un moment que la raison d'être de tous ces maquis chargés d'asticoter l'armée allemande, c'est d'abord les retenir localement de sorte que les (vrais) champs de bataille (sous entendu Afrique, Normandie, URSS) soient le plus possible dépourvus de troupes. En d'autres termes, ce n'est pas nous qui gagnerons la guerre mais on compte sur nous pour retarder l'armée nazie quitte à être sacrifiés.
Le film n'a pas eu un grand succès à sa sortie en 1967.
Je me demande si ce jeu de la vérité n'a pas fait tomber de haut certaines icônes de la Résistance d'autant plus que je me souviens de débats enflammés ou goguenards au sein de ma famille sur ce film.
Comme souvent chez Costa-Gavras, le casting est impressionnant et de choix :
Le chef de groupe Cazal c'est Bruno Cremer qui joue un rôle difficile de chef pragmatique qui a à lutter contre les dissensions internes et l'absolutisme de Jean
Jean qui est le commissaire politique est joué par Jean-Claue Brialy qui saura le vérité sur le "type" mais trop tard
Thomas, l'idéaliste humaniste est joué par un Gérard Blain. C'est assez marrant de voir le débat entre ces deux acteurs Brialy et Blain en conflit que Claude Chabrol avait déjà utilisés et opposés dans plusieurs films comme les "Cousins" ou encore "le beau Serge"
Le "type" (dont il dévoile un nom passe-partout, Louis Robert, une fois, vers la fin du film) est joué par un Michel Piccoli qui excelle dans ces rôles complexes où il est difficile de démêler le vrai du faux.
Le reste du casting nous montre aussi Claude Brasseur en coureur de jupons, Charles Vanel en vieux de la guerre de 14-18, Michel Creton, Maurice Garrel, Jacques Perrin en vengeur, Albert Remy, François Périer en résistant et père de 9 enfants ..., Monique Chaumette, Mario David, etc ... etc ...
Film de guerre et de résistance de Costa-Gavras qui ménage un solide suspense sur les actions et risques courus par ce groupe de maquisards. Il nous offre une intéressante vision inhabituelle et démythifiée sur la vie d'un groupe de résistants où les héros sont d'abord des hommes ordinaires avec leurs composantes propres.
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Créée
le 30 mai 2021
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