Un bateau de pêche entre dans le port de Deauville, une femme de dos, très belle et un peu floue s'éloigne sur la jetée brumeuse, elle vient de conter le petit chaperon rouge à une jeune fille; plus loin, un homme s'adresse à un autre, que l'on ne voit pas , il s'agit peut-être du chauffeur, l'homme debout parle d'aller au golf , l'autre, celui qui conduit la voiture, Antoine, est un enfant, son fils peut-être.
Quelques notes de piano d'une mélodie teintée de mélancolie que l'on connait depuis toujours, résonnent dans l'immensité d'un beau paysage de bord de mer en noir et blanc, nous sommes à Deauville, un homme et une femme raccompagnent leurs enfants " à la pension" avant de rentrer à Paris. Le hasard, un train parti trop tôt, va les réunir le temps d'un trajet en automobile, le temps d'un long dialogue, en noir et blanc toujours, entre sourires esquissés, mots chuchotés, confidences, regards dérobés, Anne et Jean-Louis se racontent l'un à l'autre avec délicatesse, deux êtres profondément marqués par le deuil, s'écoutent avec attention, avec bienveillance.
En découvrant tardivement "Un homme et une femme", l'on se rend compte qu'on le connait déjà un peu ce film, les "da ba da ba da" murmurés par Nicolle Croisille qui sont des mots d'amour, les phares de la voiture de Jean-Louis ne s'allument plus simplement dans un clin d' oeil cinématographique entrevu, mais célèbrent, dans une course désordonnée, improvisée de magnifiques retrouvailles, celles de deux adultes qui s'avouent leur passion, de deux enfants impatients de vivre un jour à leur tour ces émotions. Et puis, il y a la découverte, celle d'une d'une œuvre unique, parce que l'amour, cet amour entre deux adultes déjà abîmés par la vie n'a jamais été filmé avec autant d'émotion, de vérité ; un amour absolu, éternel, mais, empreint d'une infinie tristesse, qui se confronte aux souvenirs de l'être perdu, auquel il faut un peu renoncer en l'oubliant sans le trahir.
La scène charnelle ne montre que les visages, les mains qui se cherchent, une longue étreinte, ou chacun cherche l'abandon, la consolation aussi. Puis soudain, le regard d'Anne voilé, les regrets qui affleurent : elle pense à ce mari, "pas encore mort" pour elle, se sent infidèle, "Un homme et une femme " est également le récit d'un amour impossible, d'un deuil inachevé, la tragédie d'une séparation et des retrouvailles encore improvisées, mais probablement éphémères, le lendemain sur le quai d'une autre gare.
Enfin, découvrir un homme et une femme soixante-huit ans après sa sortie, c'est comprendre immédiatement que ses autres scènes sublimes, celle du repas, du télégramme accompagneront longtemps nos souvenirs, c'est réaliser qu'Anouk et Jean-Louis sont des amoureux, magnifiques, bouleversants qu'il suffit de filmer leurs visages, leurs regards , leurs silences pour aller vers l'éternité.