En mai de cette année, cela fera très exactement 50 ans que « Un homme et une femme » a remporté à Cannes la Palme d’Or, le Grand Prix de l’Office Catholique du cinéma international et celui de la meilleure contribution artistique pour la photo. Le film sortira en France le 27 mai, il rencontrera son public avec plus de quatre millions d’entrées et obtiendra deux Oscars et quatre Golden Globe. Comment expliquer un tel succès, pour ce qui n’était au départ, pour son auteur, qu’un film confidentiel tourné en quatre semaines ? Un mot vient immanquablement à l’esprit, alchimie. L’alchimie symbiotique entre deux acteurs, l’alchimie sur un ensemble d’effets de style d’un jeune réalisateur fougueux, l’alchimie entre l’image et la musique indissociables l’une de l’autre, et enfin l’alchimie autour d’une histoire simple, sublimée par une redoutable spontanéité, une touchante simplicité et un délicat réalisme.
« Un homme et une femme » touche au génie car il touche à l’âme. Cette romance pourtant contrariée entre Anne et Jean-Louis est sans doute la plus remarquable jamais filmée à ce jour. Tout commence par quelques scènes, une jeune maman fait revivre des contes de fées à sa fille, un père apprend à conduire à son petit garçon, nous sommes sur un bord de mer, Deauville, il y fait froid. Le froid sera d’ailleurs une constante tout au long de l’histoire. Malgré les sourires, les cœurs sont en hiver. De ces scènes anodines, magnifiquement mises en lumières hautes en couleur, la vie est là, même si une certaine nostalgie pèse sur les personnages, les adultes surtout. Le regret de devoir déjà se quitter…
L’au revoir se fera sur fond noir et blanc, le père laisse son fils au pensionnat, la mère également. Elle a loupé son train, il l’a raccompagnera. Et quand elle s’avance jusqu’à lui, le revers de son manteau pour protéger son cou, ce ne sont plus des parents que nous voyons, c’est un homme et une femme. Ce sont Anne et Jean-Louis.
L’alternance entre noir et blanc et couleur, peut surprendre. Lelouch la justifie par un manque de budget, mais il en fait un vrai argument filmique. Ainsi, tous les extérieurs (flash back, moments heureux…) seront en couleur, et par contre les scènes plus intériorisées (repas, scène d’amour, l’hôpital, dans l’habitacle de la voiture…), souvent en intérieur, seront en noir et blanc. Cette contrainte mercantile participe ainsi grandement à l’expression du récit, souligne les états d’âmes et vient conforter l’histoire d’amour naissante. Toutes les premières fois (rencontre, touché, étreinte…), balbutiantes, sont ainsi en noir et blanc. La musique tient également une place prépondérante dans la scénographie. Elle s’immisce là où les mots où les gestes ne suffisent plus (la scène de l’hôtel par exemple). De même, un thème musical imprègne chaque protagoniste, par le biais d’une chanson répliquée en leitmotiv instrumental à des moments forts. Francis Lai, l’éternel complice, sait y faire. Des titres comme « A l’ombre de nous », « Aujourd’hui c’est toi », « Plus fort que nous » et bien sur le thème principal tout chabadabadé provoquent trouble, frissons et larmes. « Ils croyaient qu’il pourrait suffire, pour ne plus aimer, de le dire ». L’amour sera bien plus fort qu’eux…
Lelouch, qui en est à son 6ème long métrage, trouve enfin le juste équilibre de son style si particulier, sa touch, si foisonnante et intime à la fois. « Un homme et une femme » nous livre un florilège de son œuvre future, on y retrouve nombre de moments, d’effets de caméra, de techniques qui seront reprises par la suite jusqu’au petit dernier « Un + une ». Il se fait plaisir, en filmant une histoire d’amour tellement exemplaire que chacun aurait aimé la vivre (lui le premier) mais aussi en y ajoutant de l’action (toute la partie automobile, son dada de l’époque, entre le circuit de Montlhéry et le Rallye de Monte-Carlo) usant de plans téméraires et très pointus. Il maitrise également et parfaitement le montage, de l’intime à la vie en mouvement, il saisit chaque instant au plus près, alternant gros plans, plans moyens ou large avec frénésie ou de manière beaucoup plus posée. Ainsi, lorsque Jean Louis, seul dans sa voiture, se refait l’histoire, Lelouch arrive sur la base d’une voix off et quelques plans bien trouvés à filmer la pensée sans que cela soit artificiel. Car ce qui prédomine dans le cinéma de ce réalisateur atypique, c’est bien son sens du réel exprimé par l’image (une alliance qui brille pendant la scène d’amour, une main posée sur un dossier de chaise ventant effleurer l’épaule d’Anne…) beaucoup plus que par les mots. Les regards sont primordiaux également, intenses ou désabusés, tristes ou malicieux, on comprend de suite ce que l’un ou l’autre pense.
On pourrait citer une multitude de scènes formidables ou poignantes, une balade en mer avec ce qui apparaît comme la famille idéale, le visage d’Anne perdu qui se reflète dans la vitre embuée d’un train, l’envoi d’un télégramme, une arrivée sur un quai de gare qui se terminera par une étreinte éblouissante tant attendue… mises bout à bout elles construisent un film hors du commun, à l’apparente simplicité, redoutable par la complexité de son écriture.
« Un homme et une femme » c’est tout cela, mais c’est aussi et surtout deux acteurs magnifiques et incandescents. Anouk Aimée à la beauté féline, incarne à merveille Anne, cette femme dont la samba était entrée dans sa vie, puis fut brisée par le drame. Ses réticences sont ses réminiscences à la vie, on ne peut que tomber sous son charme. Trintignant, faux enjoué, est tout aussi puissant dans son jeu, ses blessures se cachent derrière un aplomb fragile, il n’est jamais aussi séduisant que dans le doute. Leur complicité à l’écran est évidente, Anne et Jean Louis sont de belles personnes.
Jamais la notion entre passé, présent et avenir, n’a atteint un tel sommet de crédibilité et de sincérité à l’écran. Le film est parfait et maitrisé de bout en bout. Et comme dans la chanson « A l’ombre de nous », le cœur bat fort, très fort face à tant de beauté, formelle et sentimentale. Il n’est pas étonnant que 50 ans après, à l’ombre de ce film, restera toujours, au nom de l’Amour, un goût d’éternité…
Chansons :
"Aujourd'hui c'est toi" >>> https://www.youtube.com/watch?v=oL9b-40vdrY
"A l'ombre de nous" >>> https://www.youtube.com/watch?v=ZUtMxdh3jT4
"Plus fort que nous" >>> https://www.youtube.com/watch?v=bkMwMUQOdBU
Document INA sur la projection à Cannes >>> http://www.ina.fr/video/I00014951/projection-du-film-un-homme-et-une-femme-au-festival-de-cannes-video.html
Document INA Remise des Oscars à Lelouch >>> http://www.ina.fr/video/AFE86000899/sous-les-projecteurs-a-hollywood-la-distribution-des-oscars-video.html