Un film qui fait exception, au sein même du festival LGBT (ou LGBTQI plutôt) Chéries-Chéris, où seulement quelques longs-métrages, sur un total de 73 projetés, parlent des personnes intersexes. Et c'est aussi le seul film d'époque du festival.

L'histoire d'Anne Grandjean qui nous est dépeinte peut paraitre unique à nos yeux, mais il y a eu plusieurs procès de ce type à cette époque, où la connaissance sur les personnes en dehors des normes de sexes était relativement faible.

Étonnement, le film se voudra plutôt bienveillant dans un premier temps, Anne Grandjean vivant normalement dans sa communauté. L'événement déclencheur sera la découverte du "lesbianisme" d'Anne par le curé, et plutôt que de considérer cela, il opte plutôt pour une erreur de genre à sa naissance, où les caractéristiques des deux sexes étaient déjà connus, mais les médecins étaient d'accord pour dire que c'était plutôt une femme. Elle sera plus ou moins forcée à rechanger de genre (en s'appelant Jean-Baptiste), et devra quitter sa communauté, et notamment sa famille, pour fuir la discrimination et refaire une nouvelle vie, notamment en rencontrant celle avec qui il se mariera.

Sur le papier, l'histoire est peu commune, particulièrement au cinéma, et donc extrêmement bienvenue. Malheureusement, le film en lui-même reste assez pauvre, il a la carrure d'un téléfilm historique, ce qui est probablement péjoratif. La manière dont s'expriment les personnages m'a un peu dérangé, ils parlent tous dans un français moderne impeccable, et cela semble peu vraisemblable pour des petites gens du XVIIIᵉ, mais c'est un défaut systématique, et je comprends tout à fait la nécessité de garder des dialogues intelligibles. Mais même au-delà de ça, il y a quelque chose dans le jeu d'acteurs qui m'empêche de pleinement m'intégrer au récit.

Le procès aurait pu redonner de l'intérêt au film, mais même si l'on pourrait trouver rigolo les considérations discriminatoires a posteriori, tout cela parait un peu facile, et même si la performance de Thibault de Montalembert (assis à côté de moi pendant la séance, vous n'allez pas me croire) en avocat de l'accusé/e peut paraitre plutôt convaincante, tout cela reste assez scolaire, et la rhétorique du procureur est vue et revue. On peut au moins saluer le début de celui-ci, qui était assez drôle et bien senti, d'expliquer en latin le schéma de l'appareil génital en question, qui est à la fois incompréhensible et didactique.

Il faut bien sûr parler de l'actrice principale Marie Toscan, alors inconnue jusqu'à alors, qui reste assez magnifique tout du long, même si j'aurais presque envie de critiquer le passing probablement trop féminin, qui enlève de la crédibilité vis-à-vis des autres personnages qui ne semblent pas vraiment y prêter attention, mais peut-être que l'androgynie n'était pas discriminée à l'époque, à vrai dire, c'est tout à fait possible. Et le reste du casting n'est pas si mal, avec de gros noms ici et là, notamment Scimeca ou Berléand.

Le film pourrait paraitre anachronique par rapport aux préoccupations actuelles. Ici, il n'est pas question de mutilations des organes sexuelles à la naissance, mais cela permet d'avoir une vision différente de la considération des personnes intersexes dans nos sociétés. Et au final, les choses n'ont pas beaucoup changé, la reconnaissance des droits des personnes intersexes se veut encore très timide, et le choix binaire du genre imposé à la naissance a encore une grande importance dans la vie d'une personne.

Bref, même si le sujet est intéressant, important, et amène à la réflexion sur l'histoire des personnes intersexes, de leur condition passée et présente, on peut rester assez déçu d'une proposition qui n'amène pas le propos plus loin que cela, le film tente quelques effets de style, mais qui paraissent limite déplacés ou ratés, et les situations se succèdent inlassablement, sans qu'elles soient pleinement approfondies. On sent que le film est bien trop romancé, avec des situations exagérées, par exemple le pathos de la fin du procès. On pourrait aussi être déçu de la place du théâtre dans le film, qui aurait pu avoir son intérêt didactique, mais qui finalement sera assez vite éclipsé dans la dernière scène.

(Vu le 24 novembre 2023 au cinéma, pendant le Festival Chéries-Chéris)

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Tiflorg
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le 3 déc. 2023

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