Un film surréaliste que nous propose Andrew Haigh, que j'ai connu avec "Week-end" un de ses premiers films, qui est parmi mes romances gays préférées au cinéma, et donc il me tardait de voir son dernier film. Eus-je été assez étonné de voir l'importance du côté fantastique dans ce film, avec un ton très mélancolique dans un univers qui laisse beaucoup de place au silence. On peut toujours essayer de rationaliser la diégèse, mais cela n'a pas vraiment d'importance, il est surtout question d'un récit fantasmagorique au service d'un propos relativement difficile à mettre en forme.

Andrew Scott est, à plus d'un titre, fantastique dans son interprétation d'Adam, un enfant dans un corps d'adulte, qui arrive parfaitement à reproduire une gestuelle innocente. Son premier rapport physique avec le personnage de Paul Mescal (Harry) appuie cette gêne caractéristique des débuts charnels combinés au manque de confiance. Sa (re)rencontre avec ses parents décédés est l'occasion en quelque sorte de faire son deuil, sur les non-dits restés en suspens, ou sur le coming out qu'il n'a jamais pu faire. C'est aussi l'opportunité de comparer deux époques différentes, et l'absurdité des préjugés de l'époque, ou d'autres justement qui n'ont pas vraiment changé. Le film peut prêter à sourire à plusieurs reprises, notamment quand Adam, pourtant plus vieux que ses parents, demande à dormir avec eux. Mais la prestation d'Andrew Scott, en cet adulte en mal d'affection, rend presque vraisemblable cette situation, et donc d'autant plus déchirante. Je trouve d'ailleurs au film un p'tit côté "Life is Strange" (mon jeu vidéo préféré), dans cette volonté irrationnelle de réparer le passé.

L'ambiance est très réussie, en particulier grâce à la compositrice française Emilie Levienaise-Farrouch, qui réussit à transparaitre un flottement étrange tout le long du film, voire anormalement angoissant, qui nous suggère quelque chose de profond enfouit dans notre personnage. On aura quelques fulgurances horrifiques, plutôt rares, ce qui renforce d'autant plus notre surprise quand elles arrivent à l'écran, surtout dans un film somme toute très calme et plutôt tranquille.

Un film qui est basé sur "Présences d'un été" de Taichi Yamada, décidément les écrivains japonais sont de bonnes sources d'inspirations en ce qui concerne la solitude, on a déjà eu le film "Saules aveugles, femme endormie" en 2023, tiré de nouvelles de Haruki Murakami, qui est l'un des meilleurs films de l'année, et arrivait à savamment mélanger l'invraisemblable et la complexité de la psyché humaine.

Bref, un beau film sur la solitude écrasante d'un homme, qui a peur de l'avenir, et n'arrive plus à s'ouvrir sentimentalement, tout en essayant de comprendre ses fantômes. Il se démarque aussi par une ambiance travaillée, que ce soit sur la musique ou les plans, et bien évidemment sur l'incarnation d'Adam par Andrew Scott, qui réussit l'exercice compliqué d'interpréter un enfant de 12 ans dans un corps d'adulte.


(Vu le 21 novembre 2023 en VOSTFR au cinéma, pendant le Festival Chéries-Chéris)

On en parle dans le Ciné-florg #63

Tiflorg
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films LGBTI+, Films Vus en 2023 (+ avis) et Les meilleurs films de 2024

Créée

le 3 déc. 2023

Critique lue 932 fois

12 j'aime

Tiflorg

Écrit par

Critique lue 932 fois

12

D'autres avis sur Sans jamais nous connaître

Sans jamais nous connaître
Sergent_Pepper
7

Strangers in the write

Cinéaste assez rare et discret (son dernier et très réussi La Route Sauvage date de 2018), Andrew Haigh affectionne les portraits tourmentés et les individus marqués par l’épreuve du temps et des...

le 19 févr. 2024

66 j'aime

2

Sans jamais nous connaître
Yoshii
9

Lettre d’un petit garçon à ses parents

Chère maman, Hier au cinéma, ou peut-être était-ce chez moi le jour d'avant, j'ai vu un film, enfin quelque chose qui ressemble à ça. J'ai beaucoup aimé. Ou peut-être pas du tout... Je ne sais plus...

le 9 févr. 2024

61 j'aime

11

Sans jamais nous connaître
Archimede1105
3

Du vide et des synthés

Je n'ai absolument pas accroché. Disons que c'est un film sur le deuil où, sous couvert d'un petit vernis un peu fantastique, tout est traité de manière extrêmement frontale et simpliste, et il n'y a...

le 15 févr. 2024

39 j'aime

17

Du même critique

Sans jamais nous connaître
Tiflorg
8

Deuil d'une enfance perdue

Un film surréaliste que nous propose Andrew Haigh, que j'ai connu avec "Week-end" un de ses premiers films, qui est parmi mes romances gays préférées au cinéma, et donc il me tardait de voir son...

le 3 déc. 2023

12 j'aime

Miséricorde
Tiflorg
8

Invraisemblable tension sexuelle

Un film que j'ai été voir avec une légère curiosité et par un certain opportunisme. Déjà parce que c'est un film d'Alain Guiraudie, qui avait fait "L'Inconnu du lac" que j'avais beaucoup apprécié. Un...

le 4 juin 2024

7 j'aime

Moi capitaine
Tiflorg
7

Fable humaniste malgré elle

Un film sur les réfugiés qui prend quelques partis pris que je trouve plutôt étonnant. Déjà, le contexte de base ne semble pas vraiment justifier un tel voyage, surtout après les multiples...

le 10 janv. 2024

7 j'aime