Grandrieux, avec Un Lac, signe son troisième long-métrage notable après Sombre et La Vie Nouvelle. Dans cette critique, je m'attarderai moins sur ce qui est raconté que sur la manière de le raconter, ainsi que sur mon ressenti personnel.
Bien à part dans le monde du cinéma (d'ailleurs, Grandrieux est très peu connu et ses films peu projetés dans les salles), Un Lac se veut d'abord une œuvre sensitive, corporelle, qui sonde l'âme aussi bien de ses personnages que du spectateur ; le tout orchestré par une caméra vacillante, virevoltante – dansante –, accompagnée d'une bande-son se résumant à des bruits de pas qui crépitent, des respirations haletantes, et des cris presque silencieux. Les quelques mots du films sont murmurés avec une puissance rare, avec une diction abrupte faisant de chaque mot une aiguille que l'on planterait dans l'âme du spectateur, le touchant au plus profond de lui-même. Sinon, il faut attendre 1h07 (sur 1h20) pour discerner un note de musique, qui sera prolongée par un chant d'une pureté quasi-religieuse...
Rares sont les films à vous mettre dans un tel état, tantôt extatique, parfois étouffé par une ambiance « claustrophobique», mais toujours en osmose avec cette nature aussi violente qu'apaisante. Le sifflement d'un oiseau, l'écoulement d'un cours d'eau, puis la chute brutale d'un arbre qu'on vient d'abattre sont à l'image des personnages de ce film : portés par un inépuisable souffle – un souffle de vie.
Grandrieux réussit ce tour de force : transposer ce qu'éprouvent ses personnages chez le spectateur, qui sentira presque leur respiration hésitante lui souffler dans la nuque.
Finalement, regarder Un Lac revient à se mettre soi-même en jeu, car l'esprit du spectateur – dans un premier temps hermétique – et les protagonistes du film s'abandonnent aux mêmes plaisirs corporels, ceux des uns transposés dans l'autre, animés par des désirs bestiaux mais avant tout profondément humains : consommer le corps, son corps, ton corps, seule véritable entité créatrice, première à l'esprit, et dans laquelle celui-ci s'abîme.
« Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?
Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir ! »
Lamartine, Le Lac [extrait]