Un monde sans femmes
7.3
Un monde sans femmes

Moyen-métrage de Guillaume Brac (2012)

Ault est une petite station balnéaire picarde. Charmante, paisible, quelques commerces, une boite de nuit, une plage de galets et un soleil plus ou moins discret. Il faut très peu de plans et de temps à Brac pour installer ce décor, lui donner une histoire, une âme. Le rendre immédiatement proche et retranscrire son atmosphère. Il semblerait que le tourisme ne se bouscule pas aux portes, les hivers sont tristes, la population vieillissante. On s'y ennui un peu, et entre pêche à la crevette et parties de Wii il n'y a pas grands choses à faire. On est au point mort, pas que ce soit totalement déplaisant, mais avec une sensation de ne pas pouvoir partir, ou du moins aller de l'avant.
Sylvain quarantenaire solitaire et discret incarne ce lieu, épouse ses formes. Inconfortable comme la plage de gros galets, solaire mais avec des recoins plus sombres et mystérieux, et sensible comme le vent qui fait coucher les herbes sur la falaise. Il attend, espère, tout comme son collègue policier. Lui est un nounours au physique moins évident, l'autre est un dragueur. C'est un monde sans femme, à 20 ans elles sont déjà toutes mariées, lorsque l'on en trouve une d'à peu près correcte, il ne faut pas la lâcher. Sylvain a vu la sienne partir, le laissant seul, ici. Dans cette ville où tout le monde se connaît, le seul échappatoire est dans la rencontre. L'arrivée en ce lieu d'un visiteur, d'un vacancier, d'un passager. Ca semble être le seul vent de fraicheur, la seule brise de liberté et d'évasion. Brac est dans la lignée du cinéma de Rozier, saisi toute la grâce, la fraicheur, la mélancolie et la liberté de ce cinéma-là, toute en le faisant légèrement dévier. Disons que comme chez Rozier on est dans la vacance, dans l'évasion et le retour au réel, mais ici ce 'procédé' s'applique à la fois à celui qui arrive, qu'à celui qui reste. Surtout à celui qui reste. Sylvain va faire deux rencontres, la première est l'esquisse d'une nouvelle amitié qui semble se dessiner, dans Le Naufragé, avec un cycliste parisien. Ce sportif voit sa course s'interrompre lorsqu'il arrive au niveau de cette ville, il crève. Comme si la ville d'Ault, ville à l'arrêt, ville de passage, par on ne sait quel subterfuge magique rendait immobile toute personne à son contact. Lui ne cherche pas, il fuit, un quotidien, une compagne. Mais ce qu'il fuit le rattrape ici.
L'autre rencontre c'est une mère et sa fille, Patricia et Juliette venues passer une semaine de vacances. Sylvain va s'intéresser à Patricia, femme exaltée, un peu volage. Elle aussi semble fuir un mode de vie, des rencontres d'un soir sans lendemain, venue ici avec sa fille pour s'amuser, sans pour autant chercher quelque chose qu'elle ne semble plus espérer trouver,...
Sylvain, l'espace de quelques instants, malheureusement fragiles et éphémères, parvient par l'intermédiaire de ces rencontres, amenant leur(s) histoire(s), leur passé, leur ailleurs, à sortir de sa léthargie, à voir l'horizon, même si le retour au réel n'en est que plus douloureux.
A travers tout ce petit jeu de séduction qui va s'installer entre lui et ses deux femmes, on pense également à Rohmer, à Pauline à la plage, au Conte d'été, entre autre.
Mais Brac n'est jamais écrasé par ses deux références majeures, car il ne s'en inspire pas directement, il ouvre sa propre voie, élabore son propre cinéma, tout en parvenant à se glisser dans le sillon qu'auraient tracé ses deux cinéastes. Ce sont deux films d'une grande finesse qui dissimulent un parfum de mélancolie, de tristesse et d'amertume, derrière une mise en scène fraiche et des situations burlesques et souvent très drôles. Les acteurs sont formidables et l'écriture est superbe. Ca faisait très longtemps que je n'avais pas entendu des dialogues aussi bien écrits. Deux petites merveilles donc, gros coup de cœur, et cinéaste à suivre de très très près.
Teklow13
9
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le 1 mars 2012

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19 j'aime

Teklow13

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