J'avais lu la critique d'un "éclaireur" de SC et m'étais brusquement ressouvenu du film qui m'avait bien plu à sa sortie en 1974.
Malheureusement, je viens de le revoir et en sors un peu déçu.
C'est l'histoire de deux journalistes, deux fouille-merdes en quête du scoop crapoteux, du fait divers palpitant, celui qui intéresse le lecteur et qui va faire monter le tirage du journal. Le journal d'ailleurs ne s'y trompe pas et les appelle les "cow-boys" ; en effet, dès qu'une information surgit, ils sautent sur leurs chevaux, heu pardon, dans leur 403 pourrie et traversent Paris à toute blinde, ne respectant rien, ni les sens interdits ni les piétons pour aller renifler sur le le lieu de l'accident ou du drame en essayant de faire monter le mayonnaise pour un article juteux ou/et saignant avec des détails arrachés aux témoins. Une théorie est vite montée en épingle et servie au journal sur un plateau.
Les "cow-boys" c'est un journaliste, Malisard et un photographe, Prevot, toujours prêt à dégainer son revolver, heu pardon, son appareil photo qu'il a en bandoulière.
Alors quand on voit que c'est Philippe Noiret qui joue le rôle de Malisard et Pierre Richard celui de Prevot, on va se douter qu'on affaire à deux êtres complémentaires mais complètement incompatibles. Noiret, c'est celui qui renifle les odeurs de merde et qui réfléchit comment faire monter une mayonnaise. Quant à Pierre Richard, c'est le va-t-en guerre, le chercheur de l'angle le plus sanguinolent pour faire la photo du siècle. Malisard (Noiret) sait tout sur tout, dégaine une théorie sur tout. Il s'est fait une philosophie où le mal règne en maître partout et il suffit juste de le débusquer.
Du côté du journal, on a un comité de rédaction dirigé par le patron himself, joué par un tonitruant Claude Piéplu. Un Claude Pieplu qui pérore, qui donne des leçons de journalisme à propos du respect du lecteur "qu'on ne doit pas prendre pour un con".
Bien entendu, le jour où les cow-boys proposent un article sur un accident de travail dans le BTP et dévoilent que le maître d'œuvre est une entreprise proche du journal, l'article est relégué au fin fond du journal. Par contre une affaire de kidnapping d'enfants mobilise rapidement le ban et l'arrière ban du journal faisant passer les tremblements de terre meurtriers en dernière page. Et lorsque le journal découvre que le kidnapping a probablement été fait par un sadique, c'est l'emballement au journal. On ressort tous les fichiers de sadiques prêts à les retrouver et à faire l'enquête à la place de la police dont on sait bien qu'ils sont trop lents à la détente. D'ailleurs on le voit bien dans le film, ils arrivent toujours trop tard ...
Autour de Claude Piéplu, dans le comité de rédaction on trouve des vieux journalistes, tendance pantouflards comme Paul Crauchet ou des jeunes, hyperactifs, comme Jacques Denis, qui s'attire les foudres de Piéplu car toujours à contre temps par rapport au "sujet" du jour. Au final, ce sera plutôt Jacques Denis qui se révélera avoir une vraie fibre journalistique honnête et rigoureuse.
Jusqu'alors, on pourrait conclure que le film est excellent et tellement juste surtout si on se réfère aujourd'hui aux journalistes tentés par les théories du complot ou aux chaines qui tournent en boucle à longueur de journée sur le même évènement ad nauseam ou encore à ces journalistes omniscients qui se permettent l'insolence...
Ma (petite) déception est de deux ordres.
D'abord le jeu de Noiret et de Pierre Richard est un peu trop appuyé et finit par perdre en crédibilité. Ce que je veux dire c'est que le film aurait été bien plus percutant si les "cow-boys" avaient été plus vicelards, moins extravertis ; en bref, si les journalistes ressemblaient plus aux journalistes, apparemment propres sur eux d'aujourd'hui. Evidemment, cette remarque est faite en 2021 et il conviendrait de la mettre en perspective avec 1974.
Ensuite le scénario ouvre des pistes très intéressantes qui ne sont pas exploitées. Et c'est très dommage.
Par exemple, il se trouve que les enfants de Prevot (Pierre Richard) sont noirs parce que la Maman est tout simplement noire. Et pour une raison que je ne dévoilerai pas, la photo des enfants circule dans la rédaction et on voit les mimiques ou les regards qui en disent long des journalistes (muets) qui découvrent les photos. Il y avait là de l'idée et l'idée aurait pu être un peu plus creusée.
Un autre exemple, c'est la "chute" à la fin du film que j'aurais souhaitée plus mordante, plus cruelle pour ces journalistes qui ne doutent de rien. Je suis resté un peu sur ma faim tellement j'exècre certains spécimens de cette honorable profession.
"Un nuage entre les dents" reste quand même un très bon film.