En fait tu partais avec absolument tous les inconvénients, tous les… handicaps quand tu t’es lancé dans le visionnage d’Un p’tit truc en plus, a priori pas fait DU TOUT pour toi, parigot bobo dans toute sa navrante banalité : parisien relou rêvant de moutons bucoliques (le film a cartonné en province et s’est, presque logiquement, planté à Paris), roulant en Vélib, bouffant bio, allant à la salle de sport, courant les brunchs et les expos, portant des Stan Smith, travaillant dans la com et cinéphile averti. Pas élitiste hein, mais averti. D’ailleurs on pourrait se poser la question : Un p’tit truc en plus est-il du cinéma ? Parce que là clairement, on est au niveau de Joséphine, ange gardien ou du Tuteur.
On pourrait même aller plus loin : c’est quoi, un film de cinéma ? Quels critères définiraient une œuvre cinématographique qu’on opposerait, par exemple (forcément ?), à une œuvre télévisuelle ? Les différentes attentes et exigences du public ? De plus grandes ambitions artistiques et techniques ? Une richesse dans l’image, dans la recherche d’une mise en scène pensée, signifiante, qui propose ? Sachant que l’inverse est évidemment envisageable. On ne s’en sort plus, du coup. C’est vertigineux. Bref. C’est bien de sortir de ses zones de confort, de ses chapelles, et puis tu voulais voir ce film qui en est à plus de dix millions d’entrées, te faire une idée, juger par toi-même, y confronter ton seuil de tolérance en matière de «comédies populaires à la française» qui ont prises d’assaut le box-office (Taxi 2, Bienvenue chez les Ch’tis, Qu’est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ?… auxquels tu préfèreras La grande vadrouille, Trois hommes et un couffin, Le dîner de cons…).
Donc t’as vu Un p’tit truc en plus. Bon, on ne va pas se mentir, cinématographiquement parlant, c’est le néant total. Pas la peine de s’étendre sur le sujet : c’est laid, impersonnel, d’une tristesse infinie, quasi un affront au septième art. Côté scénario, ce n’est guère mieux : anecdotique, cousu de fil blanc, pétri de bon sentiments. Tous les personnages y sont peu, voire pas du tout, approfondis, réduits chacun à une fonctionnalité, à des mimiques et/ou des bouffonneries (les traits de caractère, les nuances, les failles ? Et puis quoi encore !). Et l’humour y est rarement subtil, et quelque fois embarrassant (voir le running gag autour de Marie par exemple, personnage qui n’est là que pour se prendre des tartes dans la gueule parce que c’est trop «drôle», et puis rien d’autre, nada, zéro, à peine quelques mots prononcés, à peine un embryon d’histoire d’amour dont elle est l’enjeu. Bonjour la soi-disant recherche inclusive, bonjour le regard «différent»).
Et puis cette vision d’un «vivre ensemble» et d’une institution rose bonbon où tout irait de soi y est péniblement idyllique et réductrice (certes, on n’est pas là pour montrer l’envers du décor, dire le quotidien avec ses tâches et ses réalités moins glorieuses, et aussi ses violences), et parfois même passablement infantilisante. Et puis la fin, elle, explose en beauté les compteurs de la putasserie crasse (la scène du procès, une horreur absolue en termes de dégoulinage sentimental et de mauvais goût). Déjà qu’à regarder c’est un calvaire, alors à écouter c’est carrément la double peine (autant se refaire le sketch d’Artus sur le handisport : plus court et plus poilant). On comprend l’altruisme, l’envie de faire bouger les lignes sans misérabilisme, de changer les mentalités, de bousculer les clichés, mais quand c’est fait d’une façon qui dessert à ce point les intentions, qui finalement laisse chacun à sa place, ne dérange pas, oblitère les singularités, à quoi bon ?
C’est finalement dans ses à-côtés qu’Un p’tit truc en plus est davantage intéressant, qu’il dit quelque chose de la situation des personnes porteuses de handicap en France et leur stigmatisation, leur invisibilisation dans la société. Dans cette représentation qui fait débat, pose des questions et ouvre des enjeux (ici et ici par exemple). Dans le refus de beaucoup de boîtes de production de financer le film (parce qu’on ne voudrait pas «voir des gens comme ça à l’écran»). Dans le refus aussi de plusieurs marques de luxe de prêter des tenues à l’équipe du film pour défiler lors du Festival de Cannes. Dans ce reportage enfin, plus vrai que nature, où l’émotion n’est pas truquée, où la simplicité fait du bien, et qui vaut, des milliards de fois, ce truc en toc.
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