(Notule qui reprend en partie celle de Cadavres Exquis car les deux films ont été commentés ensemble).
Le thriller paranoïaque classique est soit optimiste en fin de compte, comme par exemple Mirage, de Dmytrik, en 1965, ou pessimiste comme Seconds, de John Frankenheimer, en 1966, ou The Parallax View, de Allan Pakula, de 1974, quand des complots de forces occultes animent dans l’ombre une avant-scène de personnages qui n’y comprennent rien.
Un papillon sur l’épaule, de Jacques Deray 1978, est, parmi les thrillers paranoïaques communs - un ensemble considérable qui comporte des chefs d’oeuvre, des films cultes et des nanars - un opus très déprimant.
Encore plus que pour nous, spectateurs, le scénario semble être incompréhensible pour le personnage principal joué par Lino Ventura, qui est perdu du début a la fin dans un film trop lent - comme sont tous les films de Deray depuis Rififi a Tokyo, qui date de 1963.
Ici c’est Barcelone qui est la ville de référence mais Deray ne sait pas non plus nous intéresser aux villes, décors de ses intrigues, quoiqu'il lui tient à coeur de les filmer avec minutie, avec beaucoup de plans superflus. Le seul personnage attachant et vraiment intrigant qu’on aurait voulu voir un peu plus - car les autres finissent par nous lasser - est celui qui est joué par Paul Crochet, celui qui parle à son "papillon sur l’épaule ».
Cette hallucination délirante a une portée qui restera énigmatique dans ce film, lequel se veut quand même politiquement réaliste.
Les deux femmes (Claudine Auger et Nicole Garcia) paraissent sans interêt pour Deray, pour le personnage de Lino Ventura et par suite pour nous aussi.
On compare souvent ce film a celui de Francesco Rosi, "Cadavres exquis" (1974) qui a le même grand acteur et le même bon scénariste, Tonino Guerra (et en plus Jean-Claude Carrière), exploitant le roman "Le Contexte" de Leonardo Sciascia. Ce film allie une composante de film criminel classique (une série de meurtres par vengeance) à ce genre de thriller paronaiaque.
Lino Ventura est à son meilleur, alliant son personnage de ténébreux éthique et bougon à celui de citoyen inquiet puis apeuré et malgré tout combattif.
Si on compare les deux films, celui de Rosi stimulait notre intelligence émotionnelle, historique et cinématographique, et aussi l’affection que nous portons aux stars charismatiques comme Ventura.
De plus, le seul personnage féminin, une prostituée à la langue bien pendue, donnait en quelques minutes au film un sex-appeal flamboyant.
En revanche, celui de Deray nous plombe dans une histoire glauque, à l'ambiance de documentaire ennuyeux sur la capitale catalane. Et il arrive presque à faire perdre son charme à Lino, tandis que deux très belles femmes ont des rôles de potiches sur une étagère, alors qu'elles sont fort molestées.
(Notule de 2020 éditée en février 2025).