Robert Zimmerman, une légende anecdotique

Homme de talent, mais également cheville ouvrière d’un industrie, capable (qualité inestimable à Hollywood) de se plier aux exigences marquetées des studios et de s’intégrer parfaitement dans le cadre bien défini d’un cinéma formaté, James Mangold fait figure de cinéaste caméléon.


Pas étonnant donc, qu’ « Un parfait inconnu », biopic passepartout, s’inscrive dans la mouvance d’un cinéma de surface, qui s’attache ici de manière très didactique à décliner le début de carrière d’un chanteur au début des années 60.

Peu importe finalement que ce chanteur s’appelle Bob Dylan, simple nom parmi tant d’autres (en cela le titre ne ment pas) pour ceux qui ne sont pas familiers de son travail et de sa personnalité, il devient simplement au terme du métrage, l’artiste de cette époque qui a dévoyé la musique Folk en y introduisant des instruments électriques.


Lorsqu’il se referme, ce grand livre d’images ne nous en a pas dit beaucoup sur l’homme, au prétexte que Bob était (et demeure) un grand discret, une âme qui ne se livre pas. Jamais au cours de ces deux heures Dylan n’est devenu « le Zim », ce poète sensible, aux rimes prophétiques, qui refusa bien plus tard, le rôle de porte-parole d’une jeunesse effervescente, mais dont les protests songs, odes parfois virulentes en faveur des droits civiques, de la liberté et du changement ont porté les combats de toute une génération bercée d’idéaux.

L’homme était plus complexe, plus sombre, que ce simple gars du Minnesota qui brancha sa guitare électrique dans un festival à Newport en 1965, ses textes plus profondément ancrés dans les préoccupations et luttes sociales de cette époque que ce donne à voir cette bio filmée.


Là où « The complete unknow » réduit le risque réel d’embrassement nucléaire née de la crise de Cuba ou la marche pour les droits civiques de 1963 à des images de quelques secondes diffusées sur l’écran minuscule d’une tv , minimisant presque leur portée ; Dylan accompagne la course à l’armement d’une violente diatribe «Masters of War », entonne en août 1963 «Only a pawn in their game)» avant de se perdre dans la foule considérable qui converge vers le Lincoln Memorial, pour écouter le discours de Martin Luther King.

En concentrant son propos sur le travail musical de l’artiste de 1961 à 1965, Mangold opère certes un choix de traitement (notamment scénaristique), mais assume également d’occulter les heures sombres d‘une nation qui déteste se replonger dans un passé peu reluisant, rejetant à tout coup les œuvres trop « désobligeantes ».


Dans ce souci constant de gommer les aspérités d’un parcours, le cinéaste écrit souvent une légende bien plus lisse, bien plus commune que la réalité : les relations sentimentales de l’artiste souvent compliquées et pointées par ses anciennes compagnes comme assez destructrices, s’emmêlent ici dans une chronologie douteuse. Suze Rotolo, premier amour du folk singer (et « chose( ?) la plus érotique (qu’il) ait jamais vue ») présente sur la magnifique pochette de « The Freewheelin' devient ici Sylvie Russo, officiellement à la demande de Dylan (alors que sa famille ne souhaitait , visiblement pas qu’elle soit nommée dans le biopic), sa grossesse et son avortement sont ignorés tout comme l’est Sarah Lownds sa future femme et mère de quatre de ses enfants) rencontrée en 1964, simplement effacée du métrage, muse pourtant à cette époque « Rimbaud du rock » et présente à ses côtés à Newport en 1965.


Là encore, « Un parfait inconnu » tronque, embellit sans autre but semble-t-il que l’icônisation fade d’un artiste emblématique, qui n’en avait nul besoin, du moins pas de cette manière.

Reste de ce « Complete Uknown » quelques impressions favorables, une interprétation de qualité (mais très sage), un récit lisible et de beaux moments d’émotion musicale, même si les interprétations originales, l’énergie instrumentale du clochard céleste, la voix magnifique de Joan Baez resteront à jamais indépassables. Bien plus que les récitations appliquées de T.Chalamet et de Monica Barbaro auxquelles il manque ce côté « Bigger than life ».


Le « vrai live » de Like a Rolling stone à Newport (avec simplement quelques sifflets) https://urlr.me/AtN7Gk

Paroles et traduction de « Only a pawn in their game » :

https://www.bobdylan-fr.com/trad/onlyapawnintheirgame.html

Celles de « Masters of War »

https://www.bobdylan-fr.com/trad/mastersofwar.html

et toutes les autres (classées par Album) :

https://www.bobdylan-fr.com/album.html

« When the Ship Comes In » Dylan, Baez lors de la marche pour les droits civiques :

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