Il faut commencer par féliciter David Dufresne pour son immense travail de recensement de violences policières. Formellement, c’était pas évident de transformer ça en un documentaire cohérent et intéressant tout le long de ces 90 minutes. D’ailleurs Dufresne s’encombre pas d’artifices de réalisation, qui auraient été de toute façon assez malvenus vu le matériel qu’il avait sous la main. Ca aurait sûrement changé la nature du documentaire et c’était pas tellement nécessaire.
L’exercice est finalement réussi, grâce à des intervenants de bon niveau et d’horizons variés. J’ai été agréablement surpris par Damasio, par Taha Bouhafs aussi (assez bon dans son face à face avec le mec d’Alliance), j’ai trouvé hyper intéressantes les réflexions de Romain Huet et Fabien Jobard notamment, et le témoignage terrible des Gilets jaunes présents, surtout Mélanie Ngoyé-Gaham. Plein d’idées stimulantes sur la question de la légitimité de la violence, sur le rapport de cette légitimité avec celle de l’Etat (question centrale à mon avis), sur le refus de la foule de faire basculer les manifs vers un processus révolutionnaire (cf les séquences où Jobard montre que les Gilets jaunes se sont toujours retenus de véritablement lyncher les policiers et véritablement renverser le rapport de force violent).
Par contre, la variété des intervenants dont je parlais participe aussi d’un manque de structure qui fait un peu de tort au film. J’ai l’impression qu’il a fait discuter des gens entre eux (je serais curieux de savoir ce qui a dicté le choix des binômes d’ailleurs) et qu’il a ensuite tenté d’assembler avec le plus de cohérence possible les divers extraits dont ça a accouché. Ca c’est pas complètement une réussite.
Mon autre regret c’est que Mathilde Larrère postule dès le départ que la question des violences policières est foncièrement politique. Ca a beau être vrai, ça s’avère être un obstacle au développement de la réflexion du film. Quand on explique que l’Etat a sursollicité les policiers pendant les Gilets jaunes pour résister à cette crise et que ça a conduit à des bavures, il faut aller plus loin : le gouvernement n’a tenu que parce que l’allégeance policière au gouvernement ne s’est pas rompue.
En fait, les policiers ont eu une liberté immense dans leur gestion des manifestations parce que Macron et Castaner savaient que leurs places tenaient à peu près plus qu’à ça. Et on n’en est toujours pas revenu, on le voit par exemple quand ils se mettent à manifester parce qu’on leur demande de pas être raciste et d’arrêter avec les clés d’étranglement. On peut plus rien leur dire maintenant, ils ont acquis un degré de liberté peut-être inédit. On pourrait même appeler ça un séparatisme. Lordon a dit un jour que la police était devenue un corps étranger au sein même de l’Etat, et je le pense aussi. C’est une institution traversée par des idées racistes et fascistes, de toute évidence, et elle les met en pratique sans que l’Etat ait la capacité politique de la contrer. Les droitards qui fantasment à longueur de temps sur « les populismes » et « l’alliance rouge-brun » sont les mêmes qui refusent de voir ce rapprochement de fait entre le néolibéralisme à la Macron et l’extrême-droite. Le recul de la démocratie est venu de ceux qui, précisément, ont gagné l’élection sur l’idée d’être le dernier rempart de la démocratie.
Je comprends pas que ce point de vue se diffuse pas plus dans la société, et notamment à gauche, et ce documentaire, aussi précieux soit-il, était une belle occasion d’interroger les idéaux fascistes qui gangrènent, voire structurent la police. On peut parfaitement affirmer le caractère politique de la problématique des violences policières sans réduire la police à un rôle de simple exécutante des ordres gouvernementaux. Mais je peux aussi entendre qu’un sujet aussi vaste imposait de faire l’ellipse sur certains points.