Un seul bras les tua tous par Alligator
Parait que c'est ce premier opus de la trilogie du "sabreur manchot" qui a fait de Chang Cheh le maître incontesté des films de kung fu.
Vu au cours d'une nouvelle soirée Shaw Brothers sur CinéFrisson, le film est en effet remarquable. Le documentaire qui suit disponible également sur le dvd montre le perfectionnisme et les thématiques du cinéaste par le biais de commentaires d'acteurs et de réalisateurs chinois mais aussi de critiques internationaux.
C'est avant tout un film de kung-fu. Les thèmes propres au western, la vengeance, l'univers d'homme, l'honneur et la rédemption sont les assises de cet "eastern" soigneux. Oui, soigneux et pas étonnant que ce film ait cartonné.
Les personnages sont emprunts de personnalité et tourmentés par des dilemnes cornéliens qui tenaillent l'honneur des hommes et des femmes. Même si l'univers est masculin, comme chez Ford (il y a d'ailleurs beaucoup d'autres similitudes), les femmes permettent par leur vision décalée d'opposer et de mettre en valeur le sens de l'honneur, le courage des héros et ne se contentent pas d'être mère, fille ou amante éplorées. Elles viennent bousculer, bouleverser les âmes et les destins des hommes. Elles font l'histoire, donnent de l'assise au comportement et au projet des hommes. Elles existent.
Pour arriver à marier action et tourments psychologiques, il faut pouvoir compter sur des talents de comédiens autres que ceux qui consistent à savoir sauter sur un trampoline. Et tous les acteurs ici sont excellents et étonnament maîtrisent autant les scènes psycho que les scènes d'action.
Les scènes d'action, parlons-en. Elles ne sont pas aussi formidables que dans d'autres Shaw Productions. Elles restent cantonnées à du sabre et quelques unes à mains nues. Esthétiquement elles se tiennent mais n'offrent pas d'époustouflantes envolées ni ne sont dessinées ou dansées avec grâce. C'est bien dommage.
L'outil zoom est utilisé avec parcimonie et justesse. Pas de virtuosité, mais de la bonne action tout de même.
L'essentiel du film se trouve plutôt à la fois dans le savant dosage entre mélodrame et action, mais aussi et surtout par la mise en image des autres scènes qui est parfois sublime. Certains plans rappellent des estampes médiévales chinoises. Les décors et le cadre tournés en studio sont quelques fois magnifiques. La rigueur de la réalisation ne se contente pas de cela. Les mouvements de caméra sont parfois assez complexes et d'une grâce confondante. Je ne m'attendais pas à autant de finesse et d'élégance. Je comprends beaucoup mieux l'aura dont bénéficie Chang Cheh et les commentaires visionnés à la suite du film en ont été que plus percutants. Effectivement la réalisation est de toute beauté, avec les moyens de l'époque évidemment.
Par certains côtés aussi, le film fait penser à Peckimpah, la violence, le sang qui gicle, etc; les oppositions héroïques, avec champ, contre-champ rappellent également Leone. C'est pour cette raison que le terme d'eastern se marie bien avec ce type de film, le succès du genre l'accrédite. Il s'agit bien d'un western asiatique, dans le fond comme dans la forme. Et il est indéniable que ce film comme quelques autres sont beaucoup plus que des films de kung-fu.
Bref, un réel plaisir que de voir ce film équilibré. Savante et intelligente symétrie que d'autres n'acquiereront pas, les laissant se confiner dans l'un, l'action systématique et lourdingue, tapageuse et vulgaire, ou dans l'autre le mélo plein de pathos partout. Ici, les marges de l'excès sont refoulées et organisent un spectacle riche et divertissant.