- Maman disait que ces gens sont obsédés par l'honneur. On dit qu'ils sont loyaux, courageux, qu'ils vont la tête haute... Les femmes en tombent facilement amoureuses. Maman m'a maintes fois mise en garde. Et pourtant, je...
- Xiao-man, je suis infirme. Les duels, la gloire, je n'y pense plus. Tout à l'heure, je lui ai dit aussi qu'en la sauvant, je m'étais acquitté de ma dette et que je ne voulais plus les revoir. Si tu ne me dédaignes pas, je ne demande qu'à être un paysan.
- Es-tu sincère ?
- Je te jure que je le suis.
Un seul bras les tua tous, est une oeuvre au succès phénoménale réalisé par le grand Chang Cheh, véritable pierre angulaire du studio de la Shaw Brothers, à l'origine d'une pléiade de grand long-métrage d'arts martiaux ayant imposé un registre de redresseur de torts implacables dans le cinéma hongkongais. Un film culte qui inspira de nombreux autres grands cinéastes tel que Tsui Hark et qui donnera naissance à une légendaire trilogie. Chang Cheh à travers son intrigue, fait revivre l'esprit des arts martiaux en régénérant à travers celui-ci le potentiel d'un homme meurtri et amoindris autant psychologiquement que physiquement. Sans esprit, le corps n’est d’aucune utilité. Les compétences techniques ne peuvent être dissociées de la force de l'esprit via la connaissance et la maîtrise de soi qui sont nécessaires et primordiaux à l'élévation de celui ou celle qui le pratique.
Une moralité dépeint par la dimension spirituelle et philosophique des arts martiaux et qui seront à même de définir l'essence de Fang Gang incarner avec brio par Jimmy Wang Yu, ainsi que du reste des personnages. Un style initialement brut et masculin, qui sera la tendance dominante du genre dirigé essentiellement par des stars masculines, qui ici trouve avec "Un seul bras les tua tous" de la subtilité et de la nuance. Un seul bras les tua tous est une œuvre qui au travers d'une violence extrême trouve tout de même l'intelligence d'offrir un sujet accès sur un langage universel tel que "l'amour" et "l'amitié", réussissant à contourner la case "vengeance", afin de trouver une autre forme d'expression cinématographique.
Une structure sous forme de tension psychologique en parallèle avec les thèmes abordés qui montre un côté très tragique et sombre mis en évidence par la crise principale de l'intrigue avec l'amputation de Fang Gang, qui grace à l'amour ainsi que l'affection maître et apprenti, et frère, trouvera la force de se reconstruire et revenir dans un apogée final grandiose. En tant que réalisateur, qui crée principalement des films d'arts martiaux et d'action violents, via une masculinité pleinement assumée, Chang Cheh plonge son oeuvre dans un puits de valeurs, de croyances de vie et de philosophie, tous directement liés à une présentation extrême de la violence. Cela confirme que le cinéaste est un expert qui connaît bien les compétences narratives cinématographiques et qui maîtrise la psychologie du public à travers ses personnages.
- Tu n'es pas couchée ? Avec ce sabre court, je suis plus à l'aise. J'ai même compris quelques subtilités.
- Pourquoi êtes-vous si heureux quand vous vous entraînez ? A quoi servent les arts martiaux ?
Les descriptions des personnages sont souvent ingénieuses. Chang Cheh dépeint les personnages principaux avec beaucoup de brio, ainsi que les antagonistes. L'ennemi principal surnommé : "Démon au fouet", accompagné de son condisciple : "Visage-rieur", ainsi que de leurs quatre apprentis : "Ding Peng", "Ba Shuang", "Guo Sheng" et "Qin Da-chuan", également aidé par les 4 Tigres de la famille Luo pour exterminer les disciples de Qi Ru-feng, représente une menace intelligemment mise en scène. En effet, durant plus de la moitié du récit, l'on ne fait qu'entendre la voix avec son rire diabolique et voir le dos de Démon au fouet, favorisant un mystère insidieux amplifiant la menace et l'idée qu'on se fait de celle-ci. Ce n'est qu'à la fin du film, avant le début de la bataille décisive contre le clan Qi, que l'on verra son visage. Doté d'une apparence particulièrement soignée, Démon au fouet s'avère être un antagoniste principal de taille : vaincu par l'épée dorée de Qi Ru-feng il y a 13 ans au cours d'un rude combat ayant duré deux jours et une nuit qui laissera une cicatrice béante sur son visage.
Qi Ru-feng incarné par le grand Tien Feng, est le plus grand maitre d'arts martiaux de la région. Qi Ru-feng élève comme son propre enfant Fang Gang, fils d'un fidèle serviteur lui ayant autrefois sauvé la vie. Qi Ru-feng tient en grand estime Fang Gang qu'il choisit pour lui succéder. Seulement, Fang Gang éveille la jalousie de la fille de son maître Qi Pei-er, habilement joué par Pan Yin-tze qui le provoque en duel et finira par lui trancher un bras par traîtrise. Qi Pei-er, est une enfant gâtée bien trop couvée, qui de son air innocent et fragile et capable du pire par pur caprice, même si l'acte en question semble l'avoir quelque peu refroidi.
Jimmy Wang Yu sous les traits de Fang Gang est convaincant, j'aime beaucoup ce personnage profondément tiraillé et meurtri à cause de ses deux frères de combat jaloux de sa relation avec le maître, ainsi que de Qi Pei-er dont il tenait pourtant en respect. La gentillesse qu'il exerce tout du long pour son maître et sa famille malgré les terribles évènements en disent long sur les capacités et la droiture de celui-ci. La belle Xiao-man incarnée par la comédienne Chiao Chiao, apporte beaucoup de gentillesse, de douceur et de courage à Fang Gang, qui finalement sera conquis par la douceur de celle-ci, au point de renoncer à tout pour elle. La relation amoureuse entourant Xiao-man et Fang Gang est superbement mis en avant, nous épargnant toute minauderie facile.
- Tu penses encore à elle.
- Elle m'a fait du mal. Mais c'est la fille unique du maître.
L'esthétisme du film est particulièrement soigné, avec des travelings intéressants appuyés par une mise en scène intelligente. Les décors en grande majorité tournés en studio fonctionnent très bien, apportant une ambiance particulière au récit. La musique utilisée est principalement une symphonie composée spécifiquement pour les passages difficiles, grave et de renonciation, comme lorsque : Fang Chang ère avec douleur seul dans la neige après que son bras ait été coupé, ou encore lors du plan final. Une musique qui apporte de la modernité au long-métrage avec un fort sens du rythme. Un style musical efficace qui met en évidence le caractère puissant et fort de certaines séquences, comme :
"la séquence où Fang Gang s'avance auprès de son maître, pour lui faire ses adieux et lui dire qu'il n'a plus l'intention d'honorer le monde des arts martiaux, voulant devenir un simple fermier au côté de celle qu'il aime. Une scène très forte de la part du cinéaste qui va à l'encontre de son style violent habituel en faisant triompher l'amour au profit des arts martiaux. D'ailleurs, nous verrons un geste très symbolique de la part de Qi Ru-feng qui brisera de sa main la lame d'or de son clan, symbolisant la chute de celui-ci. Finalement, de l'affrontement, ni le clan de Démon au fouet, ni celui de Qi Ru-feng triomphe. Même Fang Gang qui finit par rejoindre Xiao-man qui l'attendait sur la route, pour se diriger vers Yuanshan main dans la main, laisse derrière un goût amer d'une vie de gloire."
En ce qui concerne les arts martiaux, Chang Cheh ne compte pas seulement sur les combats avec des épées pour animer son oeuvre. Il accorde une attention particulière à l'élaboration acharnée des arts martiaux, en créant des stratagèmes uniques autour des armes et des compétences. Démon au fouet fait des recherches minutieuses afin de créer une épée à verrou étrange, les rendant impossible à vaincre car capable de parer les 64 coups de la technique à l'épée d'or de Qi, avec un verrouillage astucieux. Une force qui transformera inéluctablement la faiblesse de la lame brisée de Fang Gang en avantage, au même titre que son bras perdu. Cela rend la bataille intérieure pour réapprendre à se battre de Fang Gang plus raisonnable d'un point de vue éthique et symbolique, rendant par là même la confrontation finale plus saisissante. Les compétences symboliques et les compétences en arts martiaux, sont les deux piliers appuyant les séquences d'action, le tout chorégraphié par deux grosses pointures avec Liu-Chia-Lang et Tang Chia.
CONCLUSION :
Un seul bras les tua tous est une oeuvre captivante, proposant une histoire, riche, pleine de rebondissements, avec des combats intenses, animés par des personnages profonds et saisissant. Le cinéaste Chang Cheh propose avec ce film un récit qui vient nuancer son cinéma, initialement violent mettant en avant l'amitié masculine par le sacrifice, au profit d'une histoire d'amour où la femme joue un rôle capitale, autant pour le côté positif que négatif du récit. Une approche symbolique forte de la part du réalisateur qui mérite d'être souligné.
Un bijou du genre.
- Maître.
- Fang Gang, nous étions déjà tes obligés et pourtant, tu es venu à notre aide. Il est remarquable qu'en quelques mois, tu aies réussi à acquérir une telle technique.
- Maître votre disciple n'est plus qu'un infirme. J'ai renoncé à mes ambitions d'autrefois. Ce kung-fu, je l'ai reçu, par hasard d'une femme. Elle m'attend un peu plus loin. Nous sommes quittes désormais. Je vais m'en aller très loin et devenir paysan.