Ce film est à part dans la filmographie du grand Otto Preminger. Empreint à la fois de l'onirisme qui caractérise un part de ses œuvres et de la noirceur réaliste et glacée que nous retrouvons dans d'autres de ses films, Angel Face est un drame sur fond d'une histoire d'amour entre un ambulancier pragmatique et séducteur et une fille de bonne famille au comportement machiavélique.
Jean Simmons, dont la bouille angélique a donné son nom au film interprète Diane, la fille d'un écrivain qui s'est remarié avec une femme qu'elle voit comme un obstacle entre lui et son père. Robert Mitchum, lui interprète Frank, ambulancier lié à la jolie Mary, mais aimanté par le charme ambigu de Diane. L'histoire tourne autour du comportement de Diane, mi-ange, mi-démon qui va aller jusqu'au meurtre pour satisfaire ses caprices d'enfants.
Comme dans la plupart des films de Preminger, les personnages sont disséqués, froidement analysés, du point de vue de leurs sentiments. Tout est centré sur la relation des deux personnages, tout le reste n'est que la matérialisation d'un environnement dans lequel prend place leur histoire d'amour. En effet, mis à part Mary qui est quelque peu développée, aucun des autres personnages ne prend d'ampleur dramatique. Du père, on comprend seulement qu'il entretient une relation ambiguë avec sa fille, on sait également qu'il est écrivain et qu'ils sont arrivés aux USA peu de temps avant (sans que l'on sache pour autant d'où ils viennent). La belle mère est seulement caractérisée dans son opposition à Diane et en temps que femme d'affaire. De même, les personnages principaux restent assez mystérieux d'un point de vue purement narratif, on ne sait que très peu de choses d'eux si ce n'est ce que leur relation nous apprend.
Le plus intéressant dans le film étant bien sûr le personnage troublant d'enfant-meurtrier interprété par Jean Simmons. Il est à noter qu'il s'agit du seul personnage féminin meurtrier dans la filmographie de Preminger. Son comportement sème autant le doute dans l'esprit de Frank que dans celui du spectateur. Les deux mettent en doute son innocence mais sont irrésistiblement attirés par ce doux visage. Le contexte de l'engagement de Simmons sur ce film et tout aussi ambigu puisque c'est par le biais de Zanuck (président de la Fox) que Preminger tourne ce film pour le compte de la RKO et de son président Howard Hughes. Ce dernier recherche un réalisateur réputé pour sa poigne de fer afin de se venger de Jean Simmons avec qui il a eu une violente dispute.
La mise en scène de Preminger est très peu spectaculaire, seules deux scènes de mort en voiture viennent perturber l'aspect lisse du déroulement de l'histoire. Il est à noter que ces deux scènes sont filmées quasiment à l'identique, dans un effet de symétrie, habituel à Hollywood mais particulièrement travaillé chez le réalisateur autrichien. Les travellings et les cadrage soignés sont au rendez-vous, avec un soin particulier apporté à la musique. Le thème principal du film, présent en version orchestrale au générique du film, est repris par Diane au piano plusieurs fois. C'est par cette mélodie que Frank est attiré dans ses filets, à la manière d'un chant des sirènes. Dès cet instant, c'est elle qui aura l'ascendant sur Mitchum comme le laisse deviner l'affiche du film.
Un film d'une grande subtilité dans sa manière d'aborder ses personnages et une grande réussite technique de plus pour le réalisateur de Laura.