On est pas sortis de l'hôtel.
Depuis plusieurs années déjà, chaque sortie d'un nouveau film de Wes Anderson est un évènement en soi. The Grand Budapest Hotel ne déroge pas à la règle avec sa floppée d'acteur-vedettes. La curiosité de voir réunis dans un même film Keitel, Goldblum, Dafoe, Almaric suffit pour faire le déplacement, sans parler de la myriade d'acteurs habituels de Anderson. Un casting tellement étourdissant qu'il en ferait presque oublier que nous venons voir un film. C'est là une des grande force du réalisateur, ne jamais faire plier ses histoires sous le poids de ses interprètes, leur donnant une infime part à jouer dans la mécanique de ses films.
The Grand Budapest Hotel n'est pas un film à part dans la filmographie de son auteur, ce n'est même pas une surprise venant d'Anderson, c'est pour moi la quintessence de son style. Le fait que la quasi-totalité de ses films soit construits de la même façon, en chapitres, avec des personnages souvent similaires et des histoires abordant systématiquement les relations humaines avec une mise en scène rigoureusement géométrique m'a souvent gêné. Anderson serait-il un imposteur mettant en image ses mêmes obsessions à chaque nouveau films sans chercher à se renouveler? Ce film m'a donné la réponse. Il n'en est rien. Au contraire il a trouvé un équilibre dans sa mise en scène, dont on percevait déjà les prémisses dans Bottle Rocket et Rushmore. Ses films ne doivent pas se résumer aux récurrences esthétiques qui sont que l'emballage de ses sujets. Dans certains je trouve que la magie n'opère pas, ici c'est le cas.
L'histoire est celle de Monsieur Gustave, un maître d'hôtel bien sous tous rapports (mis à part son habitude de coucher avec de riches clientes de passage), qui se retrouve embarqué dans une sombre histoire d'héritage suite à la mort d'une de ses admiratrices. La famille, sorte de succédané des Adams, est prête à tout pour protéger son patrimoine, un tableau d'une valeur inestimable. C'est par l'intermédiaire de son homme de main, joué par un Willem Dafoe à tomber, qu'elle va commettre tous les forfaits imaginables pour couper l'herbe sous le pied de Gustave. Ce dernier trouvera de l'aide auprès du fraîchement nommé Lobby boy de l'hôtel, Zero. Voilà le bout d'intrigue qu'il est possible de révéler sans déflorer le merveilleux enchevêtrement temporel des mise en abymes successives (il paraît que le film s'inspire de l'oeuvre de Stefan Zweig, cela pourrait tenir dans ce rapport complexe au passé également présent dans Le Voyage dans le Passé de l'auteur autrichien, dont les œuvres jusque là avait surtout été sublimées par la caméra de Max Ophuls).
Un des choix les plus audacieux du réalisateurs et d'avoir privilégié le format 4/3 dans l'immense majorité du film que représente l'histoire enchâssée, format dans lequel il est particulièrement à l'aise pour jouer de la symétrie habituelle qui caractérise ses films. De nombreuses séquences sont également réalisées avec des effets spéciaux simplistes proches de l'animation qui s'insèrent parfaitement dans l'univers du film.
Comme à son habitude, Anderson laisse une place de choix à l'écriture, à la fois présente sous forme d'indices temporels et spatiaux, mais aussi dans le cadre sous forme de panneaux, enseignes, livres, lettre et tout se qui peut permettre de jouer de la typographie.
Les acteurs livrent tous une performance à la mesure de leur stature, avec une retenue qui est une marque de fabrique de l'univers d'Anderson, mention spéciale pour Ralph Fiennes, Toni Revolori et Willem Dafoe.
Le tout forme un univers fourmillant d'inventivité, ancré dans une région fantaisiste où pourtant la réalité historique fait surface sous la forme de la division ZZ. L'hôtel était déjà un motif de choix qu'Anderson avait exploité dans Hôtel Chevalier et La Famille Tenenbaum, il en fait le centre de ce nouveau film, où les maîtres d'hôtels se voient investis de talents et de pouvoirs insoupçonnés.