Un taxi mauve

Film de Boisset que j'avais vu à sa sortie en 1977. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce film dont le scénario est tiré d'un roman éponyme de Michel Déon n'est vraiment pas dans la continuité des films du Boisset qu'on connait et qu'on aime bien, pourfendeur de l'injustice. D'ailleurs, après l'avoir vu et l'avoir apprécié, j'ai éprouvé le besoin de lire le roman. Justement à cause de cette rupture de ton dans la filmographie de Boisset. J'avais constaté que le film était assez fidèle et m'étais intéressé à cet auteur pendant quelques années avant de m'en lasser (définitivement).

Chaque fois que je revois ce film, je m'interroge sur les raisons qu'a pu avoir Boisset de tourner ce film que je trouve hors sol mais plein de charme avec des personnages pour lesquels on n'éprouve pas forcément une grande empathie …

L'action se déroule dans un splendide Connemara que Boisset ne se lasse pas de mettre en scène. Il est un personnage (muet) vers lequel on se tourne pour s'y réfugier, pour fuir, pour retrouver ses racines ou y finir sa vie. C'est un point commun avec Michel Déon qui y résidait régulièrement et qui y est mort.

Le narrateur, Philippe (Philippe Noiret) s'y réfugie pour oublier un drame familial. Il noue une relation d'amitié avec un jeune américain, Jerry (Edward Albert), issu d'une famille très riche, revenu ici pour retrouver ses racines irlandaises et/ou fuir aussi un drame.

"De Jerry, je ne savais à peu près rien. Et de moi, Jerry ne savait rien. L'idéal pour une amitié solide née au hasard d'une rencontre dans la lande. En sa compagnie, j'oubliai tout. Enfin l'essentiel."

Ceci donne le ton du film où des amitiés se nouent, des amours apparaissent dont on sait très vite qu'elles seront éphémères, inconsistantes, des rideaux de fumée. La sœur de Jerry, Sharon (Charlotte Rampling), débarque. Noiret tombe sous son charme (capiteux mais vénéneux) dont on devine qu'elle collectionne les amants, … avant d'aller rejoindre son mari, un prince allemand auquel sa famille l'a, un jour, mariée. Apparait alors un personnage haut en couleur, que personne ne connait mais qui connait tout sur tout le monde, Taubelman (Peter Ustinov). Il distille l'ambiguïté comme d'autres du whisky (irlandais). Surtout quand il dégaine sa fille Anna, muette mais belle à en mourir. Agostina Belli, à couper le souffle … Et Jerry en tombe amoureux raide dingue. Oui, mais est-ce bien réciproque ?

Et tout le monde tourne dans ce Connemara et ses pubs, personnifié par ce toubib en retraite, conduisant un beau taxi mauve. Un toubib humaniste qui devine bien des choses mais qui ne dit rien. Fred Astaire dans le personnage le plus positif du film, Dr Seamus Scully.

Des personnages pour qui l'argent n'est pas vraiment un problème. Il y en a et quand il n'y en a pas, on triche pour en trouver. Des personnages futiles, donc ? Des personnages artificiels et égoïstes ?

Oui mais des personnages fascinants dans des décors fascinants dans une Irlande sauvage soutenue par une musique envoutante de Philippe Sarde.

À la fin, tout se dilue et on se demande : mais qu'est-ce qui s'est passé ?

Très bon et très étrange film de Boisset …