Ce film est étonnant. Etonnant et captivant.
Pour m'expliquer, voici l'histoire en quelques mots pour éviter de spoiler ce qui serait vraiment dommage si un lecteur ne connaissait pas l'histoire.
Un homme tue une femme, sa maîtresse et obtient un non-lieu. Le mari de cette femme, resté amoureux de sa femme qui l'a quitté, la venge en tuant l'amant. Mais il est repéré par un radio taxi alors qu'il vient de commettre le crime. Pour ce faire, il envisage de tuer le chauffeur du taxi afin d'effacer le témoin.
Premier crime : l'homme (habite Neuilly) s'est payé un bon avocat et est dédouané : personne n'est dupe, à commencer par le juge d'instruction. Le spectateur, in petto, se dit "quel salaud !". Forcément.
Deuxième crime : c'est le mari qui tue l'amant. D'emblée, le spectateur se sent de l'empathie pour le mari. Surtout que c'est un Lino Ventura qui semble malheureux, "KO debout" dira un de ses collègues routiers.
Troisième crime : le spectateur fait un transfert d'empathie vers la population nocturne des radio-taxis et oublie complètement qu'il était solidaire du personnage joué par Ventura.
Etonnant !
Autre façon de regarder le film : on pourrait penser c'est la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Je m'explique : le grand bourgeois a piqué la femme, l'épouse de Ventura qui est un routier et donc un prolétaire. Il peaufine sa vengeance qui est "juste". Voilà-t-y pas qu'il se heurte dans sa croisade à d'autres prolétaires, les radio-taxis... Les pots de terre contre les pots de terre qui sont comparables car les uns comme les autres roulent pour d'autres et, en général, la nuit.
Captivant !
"Un témoin dans la ville " est un très efficace film noir de Molinaro qui a commencé sa carrière par des polars avant de passer à un registre plus léger.
L'efficacité du film repose en partie sur l'alternance des scènes où la tension se relâche et où la vie banale continue avec les scènes plus brutales.
Par exemple, la romance gentille et sympa qui tient un peu du marivaudage entre un chauffeur de taxi (Franco Fabrizzi) et une standardiste (Sandra Milo) va permettre d'accentuer la force dramatique du film sous un autre angle que celui apporté par l'errance de Ventura.
Le casting repose sur Ventura qui joue ici un de ses premiers rôles (après "le Gorille vous salue bien" de Borderie). Il joue un rôle tragique comme il en jouera une floppée dans sa carrière. C'est la tragédie d'un brave gars au départ qui va s'enfoncer peu à peu dans le crime alors qu'il n'a rien d'un criminel. Je disais plus haut qu'il s'agissait de la lutte du pot de terre contre le pot de terre. En fait, c'est pire c'est le destin d'un homme qui a tout perdu et qui lutte contre le monde entier. Et ce destin s'acharne à lui refuser la moindre chance de gagner.
Pour enfoncer encore plus loin le clou de la tragédie, notons une musique très jazzy, à partir d'une petite formation composée d'un saxo, une trompette déchirante et surtout un batteur Kenny Clarke.
(Un peu comme la musique de Miles Davis dans "Ascenseur pour l'échafaud" en 1957)
"Un témoin dans la ville" : un film qui se déroule dans un Paris complètement déserté par ses habitants, la nuit. C'est un petit joyau du film noir français avec un suspense haletant les vingt dernières minutes.