Ce que Jeuland a réussi par le passé, il l'a du autant à son savoir faire qu'à ses sujets. Sans un sujet percutant, c’est la structure tout entière qui vacille.
Dans Un temps de président, il manque beaucoup de choses.
Il manque d’abord un sujet : Georges Frêche explosait à l'écran. Sa présence irradiait. Il captait l'attention, la bouffait littéralement. Le spectateur était happé par les regards, les propos, l'attitude du protagoniste, son verbe haut, la dureté ou la solidité du caractère, l’élan. Dans le cas qui nous réunit sur cette page web, Hollande, pourtant rhéteur talentueux, intellectuel vif, s'efface devant les caméras et les journalistes. Sa consistance disparaît. Le vide se fait.
Attention, il n’est pas là question de parler de la personnalité de François Hollande ou de ce que je pense de lui. Ça, tout le monde s’en fout. Tenons-nous en au film, si vous le voulez bien.
Il manque aussi une histoire. Dans Le président (sorti en 2010), Jeuland suit la campagne des régionales en Languedoc-Roussillon. Chaque moment s'inscrit dans le cadre d'un objectif précis identifiable. Ici, les scènes s'enchaînent comme les saisons. Sous la pluie et sans autre lien que les jours qui se suivent. On ne nous raconte rien.
Et c'est en quelque sorte le troisième manque au film, qui est aussi celui de cette présidence, filmée aussi froidement qu’inplacablement : un récit. Le récit de l'exercice du pouvoir au sommet de l'État. Quelque chose qui lierait les actions et les événements, la stratégie qui sous-tendrait l'ensemble des décisions prises. La direction, l’orientation. L’histoire sous-jacente d’un parcours personnel. L’ambition. Pour soi ou pour le pays.
Dans Un temps de président, on retrouve aussi le goût de Jeuland (et du public) pour les coulisses du pouvoir. Déjà dans Le président, on découvrait avec stupéfaction et délectation Frédéric Bort et Laurent Blondiau, respectivement Dircab et Dircom de Frêche. Rares étaient les plans où ils n'apparaissaient pas. Certains spectateurs se sont amusés à les haïr, à prendre leur attitude et leurs blagues pour les manifestations les plus détestables de la politique. Malgré leur forte présence à l’écran, ils n’éclipsaient pas leur président, Georges Frêche.
Autour de Hollande, c'est Gaspard Gantzer, son conseiller en communication, que l'on voit partout. Et partout dans la presse qui critique le film, on s'attache à vilipender l'homme, les métiers de la com', et Hollande. On jette l'eau du bain, le bébé, et la baignoire entière tant qu'à y être. C'est bien la presse ça. Toujours à détester et cracher sur ce qui la nourrit et rejeter sur les autres les responsabilités qui lui incombe.
Gaspard Gantzer, il fait son job. Ok, il aime bien se montrer, il chipote, mais semble appliqué, efficace dans les missions qui lui sont confiées même si on ne comprend pas toujours tout et que certaines fois, on a carrément l’impression que ces hommes (oui, les femmes sont très peu visibles dans l’entourage de Hollande, sans doute à cause du fait que la présidence, c’est un truc sérieux, c’est pas pour les meufs quoi) planent complètement et sont déconnectés de notre monde.
Ce qui est plus gênant, et c'est le fond de l'affaire, c'est l'ensemble de cette cour qui gravite autour de la présidence et qui, constamment, donne son aval pour tout et n'importe quoi, lance des félicitations indues, chante louange sur louange sans recul. C'est une vraie basse-cour d’arrivistes, de moutons, de glands inconsistants qui cherchent une place.
Enfin, dernier souci, le montage : Yves Jeuland farcit son film de plans bidons et inutiles. Quelques secondes sur des fenêtres fermées, quelques autres sur des gars qui déplacent une caisse sur un chariot à roulettes... C'est dommage, le rythme, déjà hésitant, s'en trouve d'autant plus perturbé.
Tout n’est pourtant pas négatif et on apprend quand même deux ou trois petites choses dans ce long métrage.
Que les journalistes du Monde, lorsqu'ils sont face au Président de la République, n'ont rien de mieux à lui demander que ce qu'il ressent lorsqu'il se voit en photo torse nu dans la presse people.
Que les journalistes, dans leur ensemble, sont plus absorbés par les histoires de fesses que par les sujets importants (bon, ça, on le savait déjà remarquez), la séance de questions réponses avec le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, est révélatrice de l’incompétence crasse de ceux qui sont censés nous informer.
Enfin, on remarque que la photo et l'image ont plus que largement pris le pas sur la réalité. Ne comptent plus que l'image qui sera véhiculée, et plus l'événement tel qu'il s'est déroulé. Le bras, l'accolade, ça compte moins que l'image du bras, de l'accolade. Encore une fois, la victime collatérale du film, c’est celle qui se montre sous son pire jour : le journaliste, incapable de recul, de travailler ses sujets, de réfléchir, d’aller au fond des choses, préférant toujours la superficialité, la petite phrase, la polémique, le futile.
La facilité, toujours la facilité...