Abordant de nombreuses problématiques qui habitent alors le cinéma italien des années 70, Luigi Comencini réalise ici l’une des plus grandes œuvres du cinéma post néoréalisme.
Dans les années 70, les cinéastes italiens cherchent à s’émanciper du néoréalisme, et profite de la révolution industrielle pour en dénoncer les conséquences. Toujours nourrit d’une empreinte néoréaliste, la production italienne oscille entre drame et comédie sociale, départagée notamment par deux grands cinéastes de l’ère Pasolini, à savoir Dino Risi et Ettore Scola.
Poursuivant la mise en avant des « petits gens », cette floraison à l’italienne marque surtout l’émergence d’un décor urbain façonné par l’industrialisation grandissante et la lutte entre classes sociales. Élargissant dès lors le récit sur ce qui entoure les divers personnages, la caméra se penche davantage sur les liens familiaux et la violence citadine (Rocco et ses frères, Le désert rouge, Nous nous sommes tant aimés…) délaissant le simple drame individuel. Un vrai crime d’amour se situe ainsi dans la lignée du cinéma d’Antonioni, par son traitement du corps et des effets néfastes que la société industrielle détient sur celui-ci.
Comencini ira même au-delà, livrant une histoire d’amour dans un décor apocalyptique. Nullo et Carmela travaillent dans la même usine et se croisent souvent, tous les opposent, lui est de Milan, athée et communiste, elle est de Sicile, catholique et portée par une culture patriarcale. Venue chercher du travail à la ville, elle fait face à la brutalité d’un urbanisme absolu, travail d’arrache- pied pour subvenir à ses besoins. Lui habitué des grandes zones industrielles, voit très différemment des autres ces personnes venues chercher de l’emploi.
Comencini porte ici un regard remarquablement intelligent et perspicace sur ces espaces qui l’entourent, filmant très subtilement les gestes répétitifs de Carmela, qui usée par la tâche se meurt dans sa fatigue. Dans une didactique remarquable, Comencini, décortique et parvient à démanteler l’absurdité d’une société dont la mécanique des corps est le moteur.
Quittant l’air glacial de l’usine, les deux amants sillonnent les rues aux murs et aux trottoirs maussades et dont l’absence de monde se fait sentir. Le cinéaste italien filme ici dans les moindres recoins l’humanité encore présente et la triste et dure réalité de leur existence. Proche de ce que photographiera quinze ans plus tard Raymond Depardon à Glasgow, Comencini livre une très belle œuvre sur la rue, de ces passants austères à ses gamins jouant sur une moto, ou encore d’une fratrie lavant la carrosserie de leur voiture, chaque regards portés sur ce monde enclin au désespoir s’admire.
Accordant une place prépondérante à l’architecture, Luigi Comencini une nouvelle fois à la façon d’un Depardon travaille son cadre, dézoomant sur le couple qui s’embrasse, pour permettre de dévoiler le restant de la ville ; celui-ci fait émaner autour de ces bâtiments gris quelques fines touches de couleurs (quelques affiches, des voitures rouges…)
Et le couple dans tout cela ? Comencini le filme comme un italien le filmerait, avec tendresse et passion, entre baisers volés et ébats au goût de première fois ; le cinéaste filme l’étreinte dans ce qu’elle à de plus fort, du corps dénudé de Stefania Sandrelli au doux regard de son compagnon, la tapisserie des corps est à son comble.
Dans une fin tragique, les familles se réunissent pour fêter l’union de deux âmes une nouvelle fois victimes de la ville et de sa pollution.
Rejoignant ces oiseaux morts, Carmela meurt, laissant Nullo commettre le plus beau des crimes d’amour.