« Un théâtre où on ne rit pas est un théâtre dont on doit rire »

Bertolt Brecht

Dans une unité du cadre, Quentin Dupieux parvient à composer avec la mise en scène théâtrale toujours desservie par un anti conformisme cinématographique.

Pour son 12e film, le cinéaste français renoue avec l’écriture scénaristique qu’il avait auparavant exploitée dans Au poste ! où le schéma de mise en abîme habitait déjà l’envers du décor. Dès lors, il n’est pas surprenant de voir celui-ci s’engager dans la production d’une œuvre où le sujet même se trouve être le spectacle vivant. Même si l’ensemble de sa filmographie cherche à déjouer la présence d’une identité théâtrale qui en façonnerait trop la démesure, il n’en demeure pas moins que sa capacité à mettre en scène le vivant aux travers d’un subtile travail des dialogues s’incorpore perpétuellement à son art.

  • Yannick est ainsi un huis clos tourné en un seul plan séquence offrant à son cinéaste un retour aux sources. Déjouant les codes de la mise en scène platonique, Dupieux quitte le théâtre de l’absurde pour une scène où s’entrechoquent les langues. À commencer par l’original dialecte de Raphaël Quenard qui en spectateur frustré vacille entre folie et humour, où jouant d’une certaine sournoiserie revisite le principe de double énonciation liant le spectateur aux comédiens. Dupieux s’amuse ainsi des codes théâtraux et de leurs effets, les dérivant par le pouvoir de la caméra qui malgré une légère familiarité dans l’écriture finissent par prendre le spectateur à son propre rôle de destinataire du récit.
  • Suspendant celui-ci au temps réel, le cinéaste joue avec le risque, contrebalançant ses répliques aux silences provocateurs, la trame narrative parvient à séduire dans la composition que son auteur fait du cadre, le plongeant puis le sortant de l’obscurité, ce lieu si mystérieux devient un théâtre où les âmes qui le peuple, participent à la fête, habitant de leurs regards les murs d’un château où le mutisme et d’ordinaire de mise.
  • Magnifiant le panache de Raphaël Quenard, Quentin Dupieux saisit les paroles scandées d’une figure émergente dont l’art du geste porte avec réussite la pièce d’un résistant dont la découverte de soi se poursuit. Brillant dans la réussite de certaines scènes (Le mauvais boulevard joué par Pio Marmaï et Blanche Gardin, ou encore les scènes d’échanges entre Yannick et les spectateurs), Dupieux sait susciter l’attente et la satisfaire ; certainement en passe d’évoluer dans sa direction d’acteurs et dans l’écriture de ses scripts.

Toutefois certains regrets se noteront sur un manque réel de linéarité émotionnelle, encore une fois parasitée par des envolées lyriques dépourvues de nécessité, tel que la scène de renversement de pouvoir entre Marmaï et Quenard.

  • Sur fond de cinéma divertissant revendiqué par Yannick lui-même, Dupieux renie une nouvelle fois la genèse de son art capable d’émouvoir et de questionner, aussi bien dans les réflexions que se fait Yannick sur la création artistique que dans les larmes qu’il versera face aux rires du public. S’extrayant de son jardin absurde, Quentin Dupieux crée une œuvre qui loin d’être aboutit a le mérite de se réinventer, à l’image de ce dernier plan sur Quenard qui face caméra continue d’éclore.

(7,5/10)

Hugo_lesc
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le 7 août 2023

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le 7 août 2023

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Hugo_lesc

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