L'espèce humaine, d'étranges organismes vivants, ils se déplacent dans des véhicules primitifs à énergie fossile, s'alimentent de produits transformés vendus en grande surface, s'adonnent à des gesticulations anarchiques dans des lieux clos et bruyants, et sont particulièrement sensibles aux charmes du sexe opposé. Les hommes sont des proies faciles, un peu de rouge à lèvres, quelques mouvements de hanche, parfois des flatteries si ils hésitent, ils sont prêts à tomber dans le piège et à être dévorés.


Si au détour d'un croisement, Scarlett Johansson vous propose de vous prendre en auto-stop, faites très attention, c'est effectivement tentant, mais vous risqueriez de mal finir. Flottant au milieu d'un liquide sombre, votre corps se consumera peu à peu avec d'autres, puis se repliant sur lui même lorsque la chair et les os auront disparus, s'évanouira happé par le vide et réduit à un état de fluide énergétique pur. Non, ne faites jamais cela, offrez lui plutôt un gâteau au chocolat à la cerise, je ne sais pas pourquoi, les antariennes y sont allergiques, leur comportement s'en trouve fortement altéré comme pris par la démence, et révèle leur incapacité à s'adapter à la banlieue ou les vastes contrées écossaises, où des hommes seuls sont prêts à vendre leur âme pour quelque compagnie, et d'autres plus violents tenteront de la prendre au dépourvu.


Under The Skin est un film à la beauté photographique sobre et à la pudeur esthétique même dans les moments les plus durs. Le silence prédomine, un silence de prédation où Scarlett nous tétanise de son regard tendre et dominateur. Le lent rituel où elle captive et consume ses victimes, nous glace le sang. Une procession à reculons baignée d'obscurité où Scarlett nous soumet à ses formes sculpturales. Des victimes de plus en plus vulgaires et laides qui gagnent notre empathie, quand la beauté intérieure est inversement proportionnelle à leur aspect physique. Même une alien y est finalement sensible, elle ne peut s'alimenter sans fin de l'innocence ou la solitude. Dépassée par sa nature vorace et hors de contrôle, elle finira à cours d'appétit, pour se perdre dans cette jungle terrestre où elle tentait de survivre, ne pouvant supporter cette enveloppe humaine étouffante dans laquelle elle se cachait.


Nous ne sommes pas devant une œuvre de science-fiction anodine, même si le synopsis le suggèrait. C'est un objet filmique aux accents Lynchiens, à la portée symbolique et au sens artistique intense, transposable à notre quotidien. La caméra de Jonathan Glazer n'est jamais frontale, jouant sur l'ombre et la lumière, certaines scènes ont la simplicité d'un théâtre de quartier. Des références sont évidentes, comme cette pièce d'un blanc immaculé éclairée par le sol, ouvrant le film là où un certain Stanley terminait son Odyssée. Les paysages extérieurs forment des tableaux où l'on contemple la majesté du lieu, notre extra-terrestre n'y faisant qu'un humble de passage. Si la ville lui offre un formidable vivier, la puissance de l'eau et des forêts d'Écosse semble la surpasser alors qu'elle était venue apporter la mort. Le monolithe noir de Kubrick aurait-il été créé par une race humanoïde d'une autre étoile ? ce film en apporte peut être la réponse.


PS: J'aurais bien vu Scarlett en duo avec Kyle McLachlan, pour ceux qui se souviennent de son interprétation d'anthologie, mais dans un film de série B bien moins subtil que celui-ci. Un genre jadis cantonné au festival d'Avoriaz, mais porté ici au niveau de Cannes.

RedDragon
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le 23 déc. 2020

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RedDragon

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