Alien en crise d'identité

Lorsque Under the Skin est sorti, il a très bien été accueilli par la presse ; en revanche, les avis des spectateurs furent plus mitigés... Pourquoi ? Parce que c'est un film très différent de ce que l'on voit habituellement, ce qui constitue une grande force mais également une grande faiblesse.

Attention, cette critique comporte de nombreux spoilers...

Under the Skin est un film étrange ! Ça se ressent visuellement à travers des lieux de tournage naturels à la fois beaux et très froids, une photographie ayant parfois un côté amateur, ce qui apporte à l'ambiance un réalisme déstabilisant et enfin des choix de couleurs surprenant avec un espace tout blanc au début du film et un espace tout noir lorsque Laura prend au piège ses victimes ainsi qu'un espace noir et bleu lorsque ces dernières sont emprisonnées, c'est vraiment spécial ! La bande originale composée par Mica Levi est intéressante puisqu'elle joue elle aussi un rôle très important dans l'ambiance : elle est bonne (la musique "Love" est excellente par exemple) mais tellement, tellement bizarre ! Mais même en dehors de la musique et du style visuel, l'atmosphère reste quand même étrange grâce à la froideur du personnage principal dont je parlerais plus tard. D'ailleurs le spectateur ne sait pas trop où se situer par rapport à lui : Laura est en principe une dangereuse extraterrestre sans émotion, on est censé être contre elle -du moins au début du film- mais d'un autre côté on est tout le temps avec elle dans le sens où on suit son parcours du début à la fin, parfois avec des plans subjectifs, il y a donc une certaine complicité... je me répète mais c'est un expérience particulière.

Scarlett Johansson est quant à elle assez surprenante ! Elle l'est à deux niveaux, d'une part avec ses choix de carrière puisque Under the Skin est un film expérimental bizarroïde. On est bien loin des blockbusters à 200 millions de dollars, des drames réalisés par des réalisateurs déjà bien insérés dans le cinéma ou encore des comédies rafraichissantes, c'est une preuve qu'elle peut jouer dans des genres de films très diversifiés, c'est un caméléon. C'est aussi une prise de risque étant donné que le long-métrage n'est pas trop le genre de film qui séduit grandement les téléspectateurs (cf : l'échec au box-office et la réception de la presse plus positive que celle du public). D'autre part, la prestation de l'actrice est vraiment intéressante : ça ne doit pas être facile d'interpréter un personnage qui n'est pas censé avoir d'émotions, mais finalement elle ne nous laisse pas indifférent -un peu à la manière d'Alicia Vikander dans Ex Machina sorti deux ans plus tard- ; elle dégage une réelle froideur au début du film qui rend mal à l'aise.

S'il fallait designer le défaut majeur d'Under the Skin, ça serait la pauvreté de son scénario. C'est peut être un peu une conséquence du caractère expérimental du film mais en dehors du fait que le personnage principal fini par évoluer, on peut avoir l'impression que ce long-métrage n'est qu'un enchainement de scènes répétitives qui ont été écrites de façon individuelle. Je n'ai pas lu le roman de Michel Faber, j'ai simplement jeté un coup d'œil au résumé donc je ne développerais pas sur la fidélité au livre mais j'ai quand même l'impression que l'histoire de l'œuvre original est beaucoup plus fournie. Il y a aussi plusieurs interrogations auxquelles ne répond pas le long-métrage.

Même si niveau scénario c'est peu approfondi, il y a une thématique qui ressort tout le long du film : il s'agit du processus d'adaptation d'un être extraterrestre à la vie sur Terre, un extraterrestre qui s'humanise psychologiquement. On peut diviser le film en deux parties : au début l'alien est concentré sur sa mission, c'est à dire séduire des hommes, les emprisonner dans une substance liquide noire pour après récupérer leur peau afin de pouvoir infiltrer d'autres extraterrestres déguisés en humains sur Terre. En plus de la froideur de l'actrice, l'indifférence du personnage rend réellement mal à l'aise : elle séduit, blesse, piège, laisse un enfant mourir. Puis au fur et à mesure de l'histoire, on a un être qui évolue, qui est comme contaminé par les émotions humaines et se met à ressentir de la pitié pour certains êtres humains, veut imiter les Hommes en mangeant leur nourriture et en ayant une sexualité (deux chose que son corps d'extraterrestre sous sa peau humaine ne lui permet pas) et a un intérêt pour les paysages que la Terre a à offrir... Donc l'alien qui devient ou essaye de devenir comme nous n'est plus un prédateur froid à la recherche de proies. Mais son enveloppe humaine et ses différentes rencontres ne l'ont contaminées que par les émotions positives des êtres humains et c'est là l'erreur de Laura qui va lui coûter chère puisqu'elle semble voir les Hommes comme des êtres fragiles et inoffensifs elle n'a pas encore pris conscience de nos côtés inhumains. Sa dernière rencontre lui démontrera que l'Homme est aussi un prédateur puisqu'il s'agit d'un violeur, un tueur sans pitié ; c'est l'inverse de ce qu'elle est devenue et encore pire que ce qu'elle était avant puisqu'elle agissait avec la plus grande indifférence, sûrement pas par pulsions. Mon interprétation personnelle est que les extraterrestres agissent eux pour une finalité collective et que les êtres les plus hostiles sur Terre envers les humains, ça reste l'humain lui-même (après tout le garde chasse pervers ne pouvait pas se douter que la fille était un extraterrestre au début) dont les actes de cruautés sont de plus individuellement motivés puisqu'ils concernent leurs craintes, leur colère ou encore leurs pulsions déviantes.

Finalement les avis sur Under the Skin seront globalement très subjectifs puisque personne ne vivra exactement la même expérience devant quelque chose d'aussi... particulier ! Ce qui est sûr c'est que ce film ne laisse pas indifférent !