Mains tranchantes, cœur pur

Si on pouvait citer une œuvre de Tim Burton qui fait l'unanimité, c'est bien Edward aux mains d'argent ! Première collaboration avec Johnny Depp, succès à la fois commercial et critique, détenteur du Prix Hugo du meilleur film, grande référence du cinéma fantastique... un film culte, important dans la carrière du réalisateur !

Attention cette critique comporte de nombreux spoilers !

Tim Burton et gothique, ça ne rime pas mais ça va de paire et pour le coup Edward aux mains d'argent est une œuvre gothique accomplie ! L'histoire du film en elle-même est fantastique : le long-métrage s'ouvre tel un conte avec une grand-mère qui narre une histoire à sa petite-fille durant un hiver enneigé, l'histoire extraordinaire d'un homme avec des ciseaux à la place des mains. Certains éléments du scénario font penser à Frankenstein : l'inventeur qui crée un homme rappelle le roman gothique de Mary Shelley et la fin avec les habitants poursuivent Edward jusqu'à son château fait penser au film de 1931 avec la fameuse scène du moulin. Toujours pour ce qui est du registre fantastique, la photographie qui se limite au quartier et au château donne l'impression que le lieu où se passe l'action est coupé du reste du monde. Niveau direction artistique, le quartier est certes très colorée mais le château d'Edward -qui a visuellement un peu vieillit- est à la fois sombre, beau et bizarre... totalement gothique ; tout comme la bande originale composée par Danny Elfman. Il s'agit d'ailleurs d'une des meilleures collaborations avec Tim Burton : la musique a vraiment quelque chose de merveilleux et de mystérieux et en plus de ça est magnifique, surtout la musique d'ouverture ! Le costume en cuire noir de Johnny Depp ainsi que son maquillage pâle comme un fantôme sont eux aussi très gothiques, le personnage fait physiquement limite un peu peur !

En dehors de son physique très particulier, Edward est un protagoniste attachant : son histoire est touchante, il est pure dans son comportement, aussi innocent qu'un enfant ; il a du mal à distinguer le bien du mal mais lorsqu'il choisi le mal c'est uniquement pour procurer du bien aux personnes qu'il aime. A la fois marrant de par ses maladresses et émouvant de par son isolement social, sa différence physique et la façon dont il est traité, il ne laisse pas de marbre. Pour ce qui est de sa conception, le moins que l'on puisse dire c'est que Burton et Caroline Thompson ont eu de l'idée pour imaginer un homme avec des ciseaux à la place des mains !

Comme je l'ai rappelé, Edward aux mains d'argent est la première collaboration entre Tim Burton et Johnny Depp, et dans ce film, l'acteur est formidable ! Ce qu'il y a de plus impressionnant chez Johnny Depp ici, c'est son regard et sa gestuelle : à travers ses yeux et ses gestes, on peut deviner les émotions de son personnage ; quand il est apeuré, intimidé, en colère, intrigué, stressé ou encore amoureux... la tristesse est plus difficile à deviner mais c'est parce qu'Edward est un personnage réservé qui ne se dévoile pas beaucoup. Winona Ryder n'est pas mal non plus dans son rôle ; peut être était-ce parce qu'ils étaient en couple au moment du tournage mais en tout cas, elle forme un excellent duo avec Johnny Depp ! L'actrice oscarisée Dianne Wiest est quant à elle très touchante en mère de famille altruiste ; Alan Arkin est également convainquant. Kathy Baker est très rigolote, elle correspond totalement à la rouquine séductrice et excentrique aux ongles surdimensionnés qu'est Joyce ! Enfin, j'ai détesté le personnage du petit ami de Kim donc je pense qu'Anthony Michael Hall a lui aussi bien fait son boulot. Vincent Price qui fait une apparition dans le film, correspond quant à lui totalement à l'univers de Tim Burton.

Edward aux Mains d'Argent est certes un film fantastique, mais en dehors de ce registre le long-métrage est aussi une comédie à la fois dramatique et romantique. Pour le romantisme, c'est plutôt logique : quand on regarde les romans gothiques tels que L'Abbaye de Northanger de Jane Austen, les histoires ont souvent un petit côté "eau de rose". L'histoire d'amour entre Edward et Kim est assez touchante, d'une part car on se rend compte dés le début que cette romance -si elle a lieu- sera quasi-impossible sur le long-terme et d'autre part parce qu'on la voit évoluer progressivement tout au long du long-métrage, d'abord unilatéralement puis du point de vue des deux personnages. En effet, Edward tombe sous le charme de l'adolescente dés qu'il la voit en photo, puis lors de leur rencontre elle lui serra inaccessible du fait que sa différence physique est impressionnante et que Kim a un petit copain. Du côté de Kim, elle est d'abord intimidée par Edward, puis le sachant amoureux d'elle, elle se sert un peu de lui sous l'influence de Jim avant de tomber sous le charme de sa gentillesse, de son innocence. Au final l'histoire d'amour entre Kim et Edward ne durera qu'une nuit, une nuit à la fois magique cauchemardesque mais Kim se souviendra toute sa vie de cette courte idylle. Bref, c'est vraiment réussi côté romance, à la fois crédible et émouvant !
Pour ce qui est du registre comique, on retrouve des moments très drôles comme la scène où Joyce séduit Edward dans le salon de coiffure suivie du moment où Edward raconte cette situation au restaurant ; il y a aussi la scène où le personnage s’électrise avec un micro lors d'une l'émission de télévision en direct ou encore celle où il perce le matelas à eau... de toute façon niveau humour, on peut toujours faire confiance à Burton ! J'ai découvert ce film fantastique à 8 ans lors d'une sortie en classe de CE2 et si je l'avais trouvé surtout drôle à l'époque, dorénavant je pense que c'est beaucoup plus un drame comique qu'une comédie dramatique. En effet, je viens de le revoir avant de rédiger cette critique et je ne l'ai jamais trouvé aussi triste ; si le film est dans un premier temps assez joyeux, les péripéties s'enchaînent et il devient de plus en plus dramatique. Ainsi, ce drame corroboré par la romance donne un ensemble très émouvant et les scènes comiques viennent ajouter une certaine légèreté.

Ce qui fait plus particulièrement d'Edward aux mains d'argent un film triste c'est le comportement des personnages secondaires vis à vis du personnage principal et de son entourage. Au début du film personne ne semble véritablement s’intéresser à la famille Boggs mais à partir du moment où Peg ramène un étranger chez elle, touts les voisins curieux la harcèle au téléphone et affluent devant la porte du domicile familial, leur montre de l’intérêt ; cela démontre à quel point les commérages et l'hypocrisie dans présent dans la vie des gens. Edward est un personnage pure, il n'a jamais été confronté à la méchanceté des personnes à l'extérieur du château ; lors de la fête avec les voisins, il est littéralement vu comme une curiosité sorti d'un freak show ! La curiosité des habitants est en effet un peu perverse et dégradante. Il est aussi vu comme une erreur de la nature par une fanatique religieuse volontairement caricaturée. Puis une fois que tout le monde a bien vu le monstre de foire, il est exploité par les voisins qui lui demande divers services en matière de jardinage, de toilettage et de coiffure, le remerciant par de vulgaires cookies ou un verre de limonade. Il est donc bien accueilli mais c'est uniquement dans le but de contempler son anomalie ou de l'exploiter, encore une fois il y a beaucoup d'hypocrisie. On se sert aussi de sa naïveté pour commettre des faits illégaux qui lui retomberont dessus. Concernant le personnage de Joyce, elle voit en lui un nouveau joujou sexuel et l’accusera de tentative de viol après qu'il ait refusé ses avances. Enfin, à la suite d'un malheureux accident dont il n'est pas vraiment responsable, il se révolte pour la première fois et se retrouve littéralement chasser par les gens du quartier. Le comportement des voisins est particulièrement odieux, c'est triste pour Edward et même si leurs réactions sont exagérées, elles sont assez représentatives de comment les gens différents peuvent être traités (d'un point de vue négatif) : commérages, effet "bête de foire", hypocrisie, exploitation, rejet. C'est manichéen mais réaliste, ce long-métrage est peut être dans une certaine mesure une critique de notre société.

C'est le meilleur Burton à ce jour ! Il n'y a rien a ajouter à cette phrase qui fait office de conclusion ! Le seul véritable point faible d'Edward aux mains d'argent c'est sa prévisibilité mais peu importe, par rapport à tout le reste, ce n'est qu'un détail !