Les noces révèlent.
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Ce que j'avais vu jusqu'à présent d'Emir Kusturica ne m'avait pas particulièrement épaté. Arizona Dream était un bon et sympathique film, tandis que Le Temps des Gitans n'avait pas su me captiver plus que ça, même si je lui reconnaissais des qualités. Avec Underground, je prenais le risque de m'embarquer dans une aventure de près de 3h avec la circonspection de rigueur. Et je crois que l'expression "être retourné comme une crêpe" est encore un euphémisme face à ce que j'ai vu. Tout d'abord, le titre dont la signification se fait sur plusieurs points de vue. Dans l'idée du sous-terrain, il y a bien sûr la résistance contre l'occupant nazi dont les déplacements cachés se font sous le sol. Il y a aussi l'idée de la cave dans laquelle l'essentiel de nos protagonistes resteront durant 15 ans et enfin les abîmes morales, soit ce trou béant en l'humanité qui peut révéler ses pulsions belliqueuses et autodestructrices.
Underground est une odyssée à travers une zone européenne dont l'histoire contemporaine a été meurtrie durant tout le 20ème siècle. La première partie s'attarde sur la Seconde Guerre mondiale, la deuxième sur la Guerre Froide et enfin la troisième sur la Yougoslavie disloquée avec la chute de l'URSS, la Bosnie étant alors au centre de notre histoire. Mais plutôt que de filmer les scènes de guerre et de désolation, Kusturica se distancie de ça pour tourner le chaos en dérision, le représentant comme une farce morbide. Cette satire très originale apporte une certaine légèreté à l'ensemble qui plaira ou non tant l'approche est inédite. De fait, elle ne se focalise que sur le sort d'une petite communauté extravertie voyant une galerie de personnalités atypiques s'imposer d'entrée.
Toutefois, la tristesse ne peut s'occulter. Elle est toujours là en arrière-plan de la vie de ces gens qui essaient de s'évader à travers l'amour et les chansons. On a souvent fait le rapprochement de Underground avec certaines réalisations de Fellini post-néoréalisme et on ne peut qu'acquiescer cet état de fait. Ses inspirations sont évidentes mais montant de plus en plus en barbarie avec quelques scènes de meurtres filmées de manière frontale. Cependant, c'est la comédie qui domine et Kusturica fait mouche sans se complaire un seul instant dans le forcing. On se poile dans certains passages à l'image de la mémorable séquence du théâtre. Chaque minute a son importance et les événements pourtant classiques (une histoire de rivalité amoureuse, le mariage d'un adolescent) sont traités avec une telle audace que tout l'ensemble devient singulier.
Et si les deux premiers chapitres lorgneront sur le grotesque, le troisième, en revanche, est du plus sérieux. Le massacre de 1992 où les morts jonchent les rues, les maisons qui n'ont pas été bombardées brûlent. Là le sourire disparaît de notre visage face à l'horreur tant graphique que psychologique pour, par une transition incroyable de subtilité, s'achever sur une scène de fin d'une poésie mélancolique dont le choc sera une évidence. Les plus sensibles ne pourront s'empêcher d'avoir les larmes qui monteront.
Underground est mon dernier coup de coeur, le 28ème film que j'ai vu et à qui j'ai cet immense plaisir d'attribuer 10 étoiles. Dans une ambiance d'une effarante rapidité où le montage rapide s'harmonise avec les chants d'époque folkloriques (bonjour donc le dépaysement pour notre plus grand bonheur), Kusturica relate une tragicomédie de grande ampleur, d'une incroyable sincérité et avec des acteurs haut en couleurs. Underground est à la fois un virulent réquisitoire contre la guerre et un extraordinaire plaidoyer envers la sagesse humaine et le fait de profiter à chaque instant de tous les bons instants et ce même dans les moments les plus sombres. Plutôt que le pouvoir, c'est d'être entouré de personnes qui compte dans les temps les plus sombres de notre humanité.
Créée
le 30 janv. 2021
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