Le titre de cette comédie dramatique géorgienne est totalement ironique. Durant deux heures, on va découvrir cette famille pas vraiment heureuse au sein d'une société patriarcale exigeant le sacrifice de la mère, qui doit s'occuper de son foyer aux dépends de ses aspirations personnelles. La famille est un sujet inépuisable et universel, à travers un film s'attachant à son excellente actrice principale Ia Shugliashvili en l'accompagnant dans son besoin d'émancipation pour enfin exister.


Une femme visite un appartement, puis se rend dans un autre où se côtoient une famille nombreuse et bruyante. Elle s'appelle Manana (Ia Shugliashvili). Elle semble épuisée, agacée et évite les regards et discussions. Son anniversaire approche et elle refuse de le fêter. Son choix n'est pas entendu. Personne ne l'écoute, ses paroles se noient dans le brouhaha d'un foyer où elle n'a pas vraiment d'existence. C'est le moment pour elle d'annoncer son départ et de semer la discorde dans une famille déjà chaotique.


Le contraste entre les deux appartements est saisissant. Celui de la famille est en perpétuel mouvement. Il y a de la vie, mais pas d'intimité. La grand-mère passe son temps à jouer les tragédiennes. Le grand-père attend la mort, tout en répandant sa sagesse. Le beau-fils ne pense qu'à lui. La petite fille et son mari se dévorent des yeux en attendant que le temps passe et le petit fils a le nez dans son ordinateur. Manana ne se retrouve plus dans ce lieu, elle a besoin de calme et de liberté. Son appartement est à son image, simple. Elle peut lire en buvant son café au son du bruissement du vent dans les feuilles des arbres. Elle y cultive son jardin en écoutant de la musique classique. Enfin, elle peut ressortir sa guitare, l'accorder et reprendre le cours d'une vie interrompue pour suivre le même schéma familial que ses parents.


Manana ne donne pas d'explications sur son départ. Le dialogue étant impossible, elle ne va pas s'épuiser à parler dans le vide. De toute façon, ce sont les hommes qui veulent diriger sa vie, que ce soit son mari ou son frère, voir sa mère qui ce sert d'eux pour exprimer son désarroi. Evidemment, en partant sans un mot, elle laisse le champ libre à toutes les suppositions possibles, sans qu'aucun ne pense un seul moment à son bien être. Ils l'aiment, mais ne veulent pas son bonheur. Cette contradiction provient de la propension de l'être humain à être égoïste. L'anniversaire résume cette affirmation. Elle ne veut pas le fêter, mais sa mère prépare des plats, alors que son mari invite ses amis. La soirée se résume à des hommes buvant, chantant et discutant entre eux. Ce moment est pour eux, l'anniversaire n'étant qu'une excuse pour se retrouver aux dépends de cette femme fatiguée par cet environnement toxique pour elle.


Dans cette société patriarcale, elle n'a plus envie d'être considérée comme une épouse, mère ou fille, mais une femme avec ses envies. Le poids des traditions et de la famille a fini par avoir raison de sa patience. Elle doit être heureuse de ne pas avoir un mari qui la bat et boit, comme si c'était suffisant pour être heureux. Son bonheur, elle est entrain de le construire, loin de leurs avis et regards.


On est en admiration devant cette femme s'émancipant sans l'aide de personne. Elle est attachante et émouvante. On lui souhaite d'être heureuse, de prendre soin d'elle et de continuer à vivre sa vie en toute sérénité. Ia Shugliashvili est parfaite, comme l'ensemble du casting. On a vraiment le sentiment d'évoluer au sein d'une famille. La caméra de Nana Ekvtimishvili et Simon Groß évolue au plus près de ses acteurs, pour permettre aux spectateurs de s'immerger dans ses deux appartements. Ils n'ont pas besoin d'un long exposé pour nous faire comprendre la lassitude et épuisement de cette femme au bord de la crise de nerfs. Cela nous permet d'être rapidement dans l'histoire et de ne plus en sortir jusqu'à une fin se faisant un peu attendre.


C'est un film sobre. On découvre la vie de Manara au fil de l'histoire et à travers des rencontres la ramenant à son passé. C'est parfois drôle, tout en évitant le pathos. C'est une belle découverte avec ce portrait d'une femme qui parlera à celles du monde entier.

easy2fly
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le 28 mai 2017

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Laurent Doe

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