Réaliser environ 3 films par an a un prix: celui de sacrifier le temps, matière-première pour la conception mais aussi le peaufinage – le limae labor, comme le disait Horace – nécessaire à l'obtention d'un résultat satisfaisant (comme a pu l'obtenir quelques années plus tard le très nettement plus élaboré et chef d’œuvre incontestable le salaire de la peur). Une femme dangereuse pâtit donc de cette contrainte d'un Hollywood produisant à un rythme effréné œuvre sur œuvre pour maximiser les bénéfices et satisfaire les producteurs.
Or, c'est bien d'argent qu'il s'agit dans ce film, ou plutôt derrière le destin de Joe Fabrini, d'un idéal américain proprement capitaliste du self made man réussissant à grimper les échelons avant de devenir le numéro un, lui qui avait commencé par vendre des pommes – reprenant ainsi la légende de Rockefeller. Cette ascension, constituant la première partie du film, minée d'ellipses maladroites sûrement dues à des exigences au montage, plutôt mal racontée (les personnages ne sont guère crédibles, ni même plusieurs de leurs actions) et trop simplifiée (ne me parlez pas de réalisme social, on est plutôt dans la caricature de celui-ci), ne se fera pas seule toutefois, et (après un dangereux virage de Walsh) c'est paradoxalement avec l'aide de la «méchante» - Ida Lupino, véritable attraction du film -, femme de l'ombre qui deviendra le centre du récit, à la fois menteuse, femme adultère et vénale, manipulatrice et surtout meurtrière que Fabrini, sans s'en douter, y arrivera. Mais celle-ci ne pourra vaincre et accomplir ses désirs secrets, car R. Walsh, en bon moraliste qu'il est, mettant l'honnêteté (hormis si l'on vole plus riche que soi) et la fidélité au-dessus de tout, la fait rattraper par ses méfaits et dans certaines scènes très réussies, comme ce gros plan sur Ida Lupino au volant dans son garage et où l'on devine ce qu'elle manigance, ou encore celle à la prison où elle commence à défaillir face aux portes automatiques (lui rappelant son passage à l'acte et symbolisant le passage de l'état de bonne santé mentale à celui de démence), prépare sa chute inévitable.