« They Drive by Night » est un film de Raoul Walsh sorti en 1940. Apparenté à un thriller et possédant une dimension policière, on l’assimile donc souvent – bien que, théoriquement, il soit trop ancien pour cela – au style du film noir classique, dont on situe le début en 1941.
Walsh nous emmène en Californie, dans l’univers rude et périlleux des chauffeurs routiers, où il nous présente ses deux héros, deux frères. Ceux-ci travaillent en duos, se relayant au volant de leurs énormes camions pour assurer coûte que coûte le transport de chargements entre deux villes. Le boulot est difficile, précaire et risqué : perpétuellement en butte aux tromperies du patron et pourchassés par les usuriers, les frangins tirent dangereusement sur la corde, au risque de s’y brûler.
Le film commence par suivre la trame caractéristique des œuvres qui traitent de l’ascension sociale. On part de très bas – les camionneurs sont traités comme des moins que rien – et on tâche, à force de dur labeur, d’une volonté de fer et de grandes idées ambitieuses, de grimper péniblement les échelons. Et, au fil de leur parcours irrésistible, les deux frères vont rencontrer un certain nombre de personnages plus ou moins louches.
Tout le parcours des deux frères, et leur progression, reste au final assez classique et linéaire. Elle ne constitue d’ailleurs qu’un moyen d’introduire la véritable intrigue du film – celle qui lui donne son titre français – avec le personnage de la femme fatale jouée par Ida Lupino.
Le moins qu’on puisse dire à son propos, c’est qu’il s’agit d’une actrice intéressante ! Lorsque son agent lui dit qu’il allait en faire la "Janet Gaynor d’Angleterre", elle s’oriente vers des rôles plus sulfureux… pour notre plus grand plaisir (que l’on ne s’y méprenne pas, j’adore Janet, mais ses rôles angéliques manquent parfois un peu de punch). Intéressée par la réalisation, elle sera l’une des très rares femmes à passer derrière la caméra à l’époque – et, très probablement la seule à s’atteler à la direction d’un film noir.
Dans le film de Walsh, elle compose un protagoniste de premier plan, bien écrit, dont les multiples défauts font l’intérêt. Les femmes fatales dans les films noirs varient légèrement d’une œuvre à une autre, mais présentent une gamme de caractéristiques communes, qui permettent de les identifier au premier coup d’œil. Souvent malheureuses dans leur mariage ou dans leur couple, elles subissent des partenaires bien plus vieux qu’elles et parfois même affligés d’infirmités (ou de difformités). L’irruption d’un héros jeune, séduisant et plein de prestance crée alors une attraction, qu’elle soit ou non réciproque ou intéressée. Enfin, une fois lancée, la femme fatale est difficile à arrêter. Volontaire, courageuse et farouchement indépendante, elle ne ménage pas sa peine pour parvenir à son objectif, et n’accepte ni l’échec, ni la défaite.
Le personnage d’Ida Lupino correspond à ces quelques archétypes, qu’elle épice agréablement de touches personnelles jubilatoires. Tantôt horrible mégère à la langue bien pendue et aux saillies assassines, tantôt maîtresse câline doucereuse, Lana Carlsen est, au fond, tout à fait féline, sortant les griffes lorsque ses ronronnements matois ne fonctionnent plus.
Je ne connaissais pas tellement Raoul Walsh – c’est l’avantage d’avoir plein d’œuvres à découvrir. Bien sûr, j’avais vu « Gentleman Jim », un grand film avec un excellent Errol Flynn. Désormais un peu plus familier du travail du borgne, je trouve dans son cinéma quelques caractéristiques qui me plaisent tout particulièrement.
Ainsi, déjà un peu dans « Gentleman Jim », mais surtout dans « The Strawberry Blonde » et « They Drive by Night », l’on trouve chez Walsh une certaine science des dialogues qui claquent et des réparties qui cinglent comme si les mots pouvaient tuer. Ensuite, l’on retrouve à chaque fois quelques personnages secondaires très bien écrits, parfois pathétiques, souvent très pittoresques. En couplant ces deux aspects, l’on obtient des scènes excellentes, qui ne sont pas sans rappeler les grandes heures de la comédie screwball (au final, mes goûts sont très prévisibles).
« They Drive by Night » propose un lot de personnages savoureux ; femmes au caractère bien trempé et à la langue acérée et seconds rôles un peu débiles, mais très en verve. Au-delà de l’intrigue du film noir, et de la relation entre les personnages d’Ida Lupino et de George Raft, qui en nourrit l’histoire, ce sont bien les interactions de ces sous-fifres qui font le sel du film de Walsh. On bénira donc Roscoe Karns et Alan Hale, dont les moments de grâce offrent une heure et demi de bonheur aux amateurs.