L'Histoire du cinéma doit sa pérennité et sa longévité à une constante qui ne s'est jamais démentie dans son architecture. Les théoriciens l'ont régulièrement décryptés à coups de savants ouvrages plus ou moins hermétiques, tandis que leurs homologues cinéastes la traduisaient avec ce qui constitue l'essence même d'une mise en scène : l'esthétique des images. Celle-ci s'est forgée différentes identités selon les époques et les nationalités. Sans remonter à l'invention du dispositif cinématographique sous l'égide de Georges Melies et, plus tard, son perfectionnement par les frères Lumiére, nous pouvons constater deux mouvements majeurs qui permirent son éclosion. La Nouvelle Vague Française au début des années 60 par Truffaut, Godard, Rhomer et Chabrol. Laquelle fut suivie peu après par la déferlante du Nouvel Hollywood des Coppola, Cimino, Bogdanovich et autre De Palma en pleine révolte Vietnamienne. Le mouvement essaima alors dans le monde entier et fit le pari que le renouveau d'un 7ème art moribond retrouverait sa splendeur d'antan.


Quelle est l'utilité de ce bref rappel? Présenter un film jusqu'alors inédit dans les salles hexagonales de Mikio Naruse, esthète japonnais au même titre que ses glorieux compatriotes Oshima, Ozu ou Mizoguchi. Plus proche de la mouvance réaliste de ce dernier, il aime à portraiturer une société impérialiste déchue de sa force au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. Loin de l'anecdote, ce détail préfigure une volonté de retranscrire une identité nationale pacifiste. Le cas de « Une Femme dans la Tourmente » est à cet égard très intéressant. Comme dit plus haut, l'archipel n'échappe pas à l'hégémonie visuelle qui compte marquer les esprits.


Voyez la splendeur des cadres composés qui font rejaillir l'éclat des visages et la méticulosités des décors. Veuve de guerre s'occupant d'un petit commerce dans un quartier populaire, Reiko ne sait comment faire face à la concurrence déloyale du nouveau supermarché avoisinant. Difficulté supplémentaire, son jeune beau-frère est un indécrottable paresseux qui se contente de vivre à ses crochets. Intelligent mais cynique, il est de plus couvé par sa grand-mère et ses sœurs. Ce point de départ suffit à Naruse pour démontrer que la reconstruction économique des villes isolées est grandement perturbée par l'essor d'une industrie commerciale inéquitable. Propre à toutes les nations ravagées, elle est ici opérée irraisonnablement et cloisonne encore un peu plus la classe moyenne. Fort de cette base scénaristique solide, il sait appuyer son point de vue par une réalisation remarquable. Tourné sous l'angle du mélodrame, l'attention portée aux émotions des personnages permet de s'identifier à eux aisément. La grammaire technique est au diapason. Gros plans fixés sur les figures pour souligner l'immense désarroi qui les étreint, la caméra sait se mettre à bonne distance des protagonistes lorsque l'intimité des situations le demande. Le grain en noir et blanc de la pellicule accentue également l'élégance d'un film au pouvoir d'attraction fascinant. La partition sonore participe de cette réussite, donnant à bon escient la mesure structurelle qui renvoie aux différentes étapes de la narration.


Le choix s’avère judicieux de débuter par un récit essentiellement sociologique pour mieux poursuivre dans la veine tragique. En effet, le processus garantit des rebondissements qu'un axe plus tranché n'aurait peut-être pas permit d'atteindre. Nous découvrirons quel rapport ambigu entretient la commerçante avec le brillant jeune homme. Et par quelle astuce schématique la relation que l'on pressent convenue s'ouvre un horizon inattendu. Sans en dévoiler la teneur, révélons juste le caractère particulier de Koji. Sous son air négligeant semble se dessiner l'anticonformisme de la jeunesse qui refuse de se plier aux ordres. Il finira bien par lâcher un peu du lest mais dans un but bien précis. Peu connu pour être un militant de la première heure, il se pourrait que cette évocation rebelle signe un geste idéologique nouveau pour le réalisateur nippon.


A l'image du long-métrage de son compère Mizoguchi « La Rue de la Honte », Naruse allie harmonieusement la symbolique de l'image à la rigueur narrative. En résulte une ode poétique magique que quelques ralentissements ressentis ça et la n’altèrent pas le moins du monde. Difficile d'oublier de sitôt la grâce qui illumine les performances de Hideko Takamine et Yuzo Kayama. La restauration du patrimoine mondial à décidément de beaux jours devant eux.

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le 15 déc. 2015

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