Certes, Marina est une femme fantastique, mais amoureuse avant tout. Et d’une femme amoureuse, la voilà soudain passant à quelque chose de plus indéfinissable, que l’on rejette et dont on aurait peur. Une chimère, osera-t-on lui dire. Pas encore arrivée au terme de sa transformation, Marina, à partir d’un événement tragique (la mort d’Orlando, son compagnon) qui la verra perdre toute légitimité aux yeux des autres (les docteurs, l’enquêtrice, le fils et l’ex-femme d’Orlando…), ne sera plus vraiment Marina, mais simplement un homme, Daniel, qu’on cherche alors à humilier et dont on conteste l’être, ce qu’il est (ou ce qu’il n’est pas, ou ce qu’il voudrait être). De fait, Marina va devoir se battre, se battre contre tout ça.
C’est ce combat, malheureusement ordinaire chez beaucoup de transgenres, que raconte Sebastián Lelio, combat contre l’ignorance et la négation de sa propre identité. Belle héroïne almodovarienne, Marina (magnifique Daniela Vega) doit sans cesse prouver sa soi-disant normalité (qu’elle ne s’adonnait pas avec Orlando à des jeux sadomasochistes, que ce n’est pas une prostituée, qu’elle a toute sa tête…) auprès d’une société qui lui refuse beaucoup (et même d’assister aux funérailles d’Orlando), et jusqu’au bien-fondé de sa parole. Lelio s’emploie à brouiller, à "déconstruire" sans cesse l’image de Marina (comme tous ces gens autour d’elle) pour mieux en révéler sa beauté et sa force, image dédoublée dans le reflet des vitres et des miroirs, défigurée par du scotch, masculinisée dans un sauna, magnifiée en danseuse de comédie musicale ou face à une bourrasque qui l’empêche d’avancer…
Mais l’étrange apathie de Marina, en tout cas son peu de réactions (ou alors très intériorisées) face à la perte, au mépris et aux affronts qui font de son chemin du deuil un chemin de croix, finit non seulement par installer une sorte de détachement vis-à-vis de son personnage, mais aussi par gêner le développement du film (Marina, malgré les épreuves, n’y évolue guère, sinon à la fin à la faveur d’une ellipse bien pratique) souffrant d’un rythme bizarrement décousu et d’un scénario qui paraît brouillon, inabouti, à l’image de ce mystérieux casier de vestiaire qui, in fine, ne révélera absolument rien (sinon une absence, celle d’Orlando, mais dont la présence demeure là, à l’état de fantôme) en regard du long suspens construit tout autour. D’un voyage promis aux chutes d’Iguazú (en hommage au Happy together de Wong Kar-wai ?) à la scène d’un récital (en hommage au Talons aiguilles de Pedro Almodóvar ?), Lelio redonne fierté et honneur aux transgenres mais en oublie, en cours de route, de nous passionner entièrement pour Marina.
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